Pour son treizième long-métrage à sortir en salle, Christophe Honoré joue avec le théâtre et le cinéma. Une épopée intime et collective, dans notre monde au timing bouleversé.
Périlleuse entreprise que de mettre en abyme avec une caméra une création scénique. Faire un film à part entière à partir d’un matériau documentaire : la reprise de répétitions avortées d’un spectacle, à la suite du premier confinement. Christophe Honoré a relevé le défi, alors qu’il réattaquait au printemps 2020 la mise en scène pour la Comédie-Française de son adaptation du Côté de Guermantes de Marcel Proust, troisième volet d’À la recherche du temps perdu. Il avait donc la double mission de continuer la préparation de la pièce, vouée à être représentée en septembre 2020, et de faire un long-métrage à partir de ce terreau, pour répondre à une proposition de la compagnie. Soit un lieu unique : le Théâtre Marigny à Paris ; une temporalité ramassée : les quelques jours du temps de fiction ; et une partie de la troupe du Français. Se greffent aussi au récit les jeux avec le réel : revendications syndicales de l’institution, nées de la crise sanitaire, décisions collégiales à adopter quant à la poursuite du projet – la date de réouverture des salles de spectacle restant floue -, et présence à l’image d’Honoré lui-même, en capitaine de bateau surfant sur les vagues de ces eaux incertaines.
Le cinéaste, également scénariste, écrivain, dramaturge et metteur en scène d’opéra comme de théâtre, a toujours aimé travailler les moments de l’Histoire en marche, pour en faire des œuvres de création vivante. Il a notamment donné à voir sa version de la bande du Nouveau roman dans son spectacle éponyme (2012), et a rassemblé ses icônes masculines emportées par le Sida dans la pièce Les Idoles (2018). Ici, il s’amuse pour le grand écran à inventer du romanesque, sur fond d’ateliers proustiens, et à se nourrir des réalités et des improvisations de chaque membre de la brillante distribution. Le flou documentaire reste volontairement total. Laurent Lafitte regarde en boucle sur son smartphone la bande-annonce de son film non cité (L’Origine du monde vient de sortir en ce mois de septembre 2021) ; Stéphane Varupenne chante et joue des standards à la guitare, dont My Lady d’Arbanville de Cat Stevens ; et Dominique Blanc passe de l’énamourée à l’énervée au téléphone, en dialogue avec son amour, avant et après sa nuit entière à Marigny.
Finalement, le film est un beau moment sur l’attente et sur l’échange en période créative, sur l’entre-deux, comme un sas existentiel collectif. Chaque personnage évolue entre lâcher-prise et jugement, entre colonie de vacances, camping improvisé et fin de fête. Un prolongement de l’adolescence aussi, qu’Honoré a toujours préservée, avec son lot de fantasmes, de drague, d’ambiance traînante, et de goût du déguisement, parachevé par un joyeux final déambulatoire. Le temps perdu du confinement ne l’est plus, l’âge n’a pas d’âge, Claude Mathieu fait jeu égal avec Mickaël Pélissier, et l’illustre Marcel est revisité un siècle plus tard. La projection finie, on reste sur la sensation d’avoir assisté à un instant privilégié, avec une équipe pas comme les autres, de la discipline au vent de liberté. Avec aussi l’énergie de l’amour des planches, de la littérature et du cinéma. Et puis avec le temps d’être ensemble, enfin retrouvé.