Aventure humaine démente, ce joyau nordique impressionne autant qu’il obsède. Et fait de Hlynur Pálmason l’un des cinéastes majeurs de son époque.
Avec son troisième long-métrage, Hlynur Pálmason livre une fresque fascinante. La maestria et l’intensité tiennent en haleine pendant près de deux heures et demie, au royaume des paysages saisissants, du climat rude, et de la détermination rigoriste. C’est l’histoire d’un jeune prêtre danois envoyé dans un coin isolé d’Islande à la fin du XIXe siècle, avec deux buts : construire une église et photographier la population. L’île était alors dominée par le royaume du Danemark, mais les convictions de l’ecclésiastique vont vite se cogner au réel, à l’adversité, à l’impossible, tout au long de son épopée personnelle. Et ses principes vont être mis à l’épreuve par la tentation. Il y a du mythe de Sisyphe dans l’avancée de ce protagoniste, qui s’évertue envers et contre tout à continuer son escalade vers la cime de son exigence extrême. Sans jamais réfléchir ni infléchir, il va à l’inverse des vents, au risque de rompre, et son cheminement est passionnant.
Comme dans ses deux précédents opus, Winter Brothers et Un jour si blanc, Pálmason filme une lutte. Physique comme intérieure, contre soi-même ou contre l’autre – fût-il un double de soi à travers la figure du frère. Ses héros évoluent dans une tension permanente, là dans les affres du travail au cœur d’une carrière de calcaire ou d’un deuil conjugal tortueux, ici dans un tiraillement entre les spectres de la foi et du péché. Un état à la lisière du supportable, et qui joue justement avec les limites. Elles atteignent dans Godland (littéralement « terre de Dieu ») l’implacabilité d’une nature à la dureté tranchante. Roches, falaises, rivières, plaines, glace et lave rivalisent de magnificence, au gré des bises et des intempéries. Le danger n’en est que plus vertigineux. La cheffe opératrice Maria von Hausswolff, fidèle œil du cinéaste depuis ses courts-métrages, livre un travail époustouflant dans le rendu à l’écran de ces étendues magnétiques, saisies dans un format carré épousant le cadre des photographies de l’époque.
Loyal aussi envers ses interprètes, l’auteur oppose ses deux acteurs fétiches, Elliott Crosset Hove (Winter Brothers) et Ingvar E. Sigurdsson (Un jour si blanc). Ils incarnent avec une rage muselée deux forces contraires qui se fracassent l’une sur l’autre. La lente progression narrative hante le regard, d’autant plus que l’équipe a judicieusement tourné le film dans la chronologie du récit, en traversant, comme les personnages, les décors successifs. Une manière d’éprouver le réel qui augmente encore les sensations du public, tout comme le fait l’évolution des saisons, sur la véritable décomposition d’un cheval ou sur la transformation d’un glacier. Hlynur Pálmason est grand par sa vision, son talent, et sa méticulosité à capter les tourments humains, ici transcendés par un voyage géographique unique. Lancé à Cannes, où il aurait mérité d’intégrer la compétition, Godland n’en a pas fini de répandre son aura.