Le premier long-métrage en solo de la réalisatrice taïwanaise Shih-ching Tsou révèle une autrice à la créativité revigorante. Son immersion féminine en plein Taipei repose sur un récit qui mêle avec poigne les tons et les énergies, et épate autant par sa tenue que par son propos émouvant.
Coréalisatrice et coproductrice avec Sean Baker de Take Out (2004), avant de devenir sa productrice attitrée jusqu’à Red Rocket, Shih-ching Tsou débarque en solo à la réalisation de Left-Handed Girl, en compétition à la 64e Semaine de la Critique. Le réalisateur d’Anora en est coproducteur, coscénariste et monteur. Cette « fille gauchère » a une énergie dingue, et fait passer le spectateur par tout un spectre de sensations. La cinéaste crée une trinité féminine qui puise dans sa propre biographie, dans ses souvenirs d’enfance, et dans une nécessité thérapeutique. Tout comme dans le besoin de faire acte de mémoire. Voici donc le portrait d’une famille ; une femme, une jeune femme, une fillette, dans les arcanes des marchés de Taipei, entre leurs vies respectives et leur promiscuité dans leur appartement. La vitalité qui se dégage de chaque scène, tout comme de leur enchaînement, est contagieuse, car la survie et l’urgence qui cimentent le récit sont toujours transcendées par la bienveillance du regard de l’autrice.
Chacune des trois interprètes, de l’aînée à la benjamine Janel Tsai, Shih-Yuan Ma et Nina Ye, a été minutieusement choisie pour sa capacité à transmettre les émotions sans forcément passer par les dialogues. D’où la présence incandescente de ces actrices, qui ont chacune droit à leurs moments de bravoure, tout en harmonisant leur présence dans leurs scènes communes, dans la joie comme dans la révolte, dans la malice comme dans la reconnaissance. Par l’électrochoc de situations comiques et d’altercations bouleversantes, de pressions matérielles et de captations du grouillement de la capitale, Shih-ching Tsou témoigne d’un vécu rassemblé dans un spectacle magnétisant. Gros plans et mouvements de caméra embarquent en plein chaos, en faisant même vivre le spectateur à hauteur de suricate. Les surprises abondent, sans gâcher le plaisir de la chronique humaniste. Le pouls bat vite et fort, mais la tendresse n’est jamais loin, dans l’accompagnement des filouteries enfantines, et dans la construction d’un gynécée où les émotions vont finir par cohabiter, apaisées. Quel film !
Olivier Pélisson