La Fameuse Invasion des ours en Sicile

L’île aux trésors

Réjouissance au programme avec ce conte franco-italien. Un petit bijou d’animation, doublé d’une puissante parabole sur l’obsession du pouvoir, le tout servi par un graphisme éblouissant.

La Fameuse Invasion des ours en Sicile est adapté du classique de la littérature enfantine signé Dino Buzzati, et paru en Italie en 1945. Le plus célèbre roman de l’auteur, Le Désert des Tartares, avait été transposé sur grand écran par Valerio Zurlini il y a plus de quarante ans. Cette fois, l’écrivain est célébré via le champ du cinéma d’animation, et par un concitoyen transalpin auteur de bandes dessinées. Lorenzo Mattotti livre ainsi, à soixante-cinq ans, son premier long-métrage. Aidé au scénario de Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain, il redonne vie et couleurs à ce récit réjouissant, en créant au passage des personnages qui apportent du liant narratif, grâce à la voix-off de Gedeone, Almerina et du vieil ours. Tout cela au service d’une histoire de lutte et de transmission, née au sortir de la Seconde Guerre mondiale et du fascisme italien.

Production made in Angoulême grâce à la société Prima Linea, ce mariage franco-transalpin s’avère heureux. Très heureux même. Un plaisir des yeux, tant le graphisme subjugue. La palette chromatique, mariant les bruns, rouges, orangés, jaunes, verts et bleus est somptueuse. Le travail sur les ombres à même les personnages, et sur les espaces extérieurs comme intérieurs, débouche sur un savant relief et un souffle dingue, alors que l’image reste en 2D. Sur fond de mimétisme fatal entre espèce animale et gent humaine, la célébration des éléments illumine, de montagnes en plaines, de mer en azur céleste. Une nature qui devient le terrain épique de scènes de combat savoureuses et d’apparitions fantomatiques, construites par des lignes franches et des mouvements fluides et vifs.

« Tu voudrais être un homme, tu n’es même pas un ours », dit le père souverain à son fils. Le miroir aux alouettes de l’idéal fantasmé mène la truffe des bêtes comme la cupidité des hommes. L’appât du bling-bling et du pouvoir fait tourner la tête et balaie l’honnêteté. Mattotti se sert avec subtilité des infinies possibilités du conte, comme métaphore du monde et terrain du mystère. Dépasser le réalisme pour atteindre le poétique et le symbolisme crée un espace de liberté immense, même si le réalisateur se défend de tout militantisme. Il a voulu avant tout prolonger le merveilleux de l’ouvrage de son aîné. Pari gagnant, tant le spectateur s’en prend plein les mirettes et ressort de l’expérience l’âme ravie.