Eugénie Grandet

La fin d’un monde

Marc Dugain adapte librement Eugénie Grandet et réalise un film dont l’épure fait résonner pleinement le caractère très actuel de son discours.

Marc Dugain fait partie de ces auteurs et réalisateurs qui parviennent à relier l’autrefois à l’aujourd’hui. En reprenant la lecture d’Eugénie Grandet de Balzac, il eut l’intuition que ses personnages pouvaient trouver une nouvelle incarnation et, par leurs travers ou leurs forces, ouvrir un espace de dialogue avec le tournant que notre société tente aujourd’hui de négocier.

Soit Félix Grandet, avare au dernier degré, qui exerce son pouvoir sur son petit monde et fait vivre une austère existence à son épouse (étonnante Valérie Bonneton) et à sa fille, Eugénie (Joséphine Japy, toute en justesse et délicatesse). Jusqu’au jour où son neveu, un dandy parisien, leur rend visite et séduit cette dernière.

Olivier Gourmet et Bruno Raffaelli dans Eugénie Grandet de Marc Dugain. Copyrights Ad Vitam.

Signée Gilles Porte, la lumière crépusculaire du film, qui évoque certaines toiles de Georges de la Tour, fait régner un climat porteur de sens sur ce récit : le Père Grandet, qu’incarne Olivier Gourmet avec une assise et une épaisseur impressionnantes, porte en lui tout le poids du patriarcat que notre époque actuelle voit progressivement vaciller. Et ce qui passionne dans cette histoire, ce sont les liens que Dugain extrait de chez Balzac, nourrit et tisse entre la naissance du capitalisme, le comportement autoritaire des hommes et le lien avec la nature qu’ils rompent peu à peu. Cette dernière idée, qui aurait gagné à être soulignée davantage tant elle est fondamentale, émerge par un jeu subtil sur le son dans la belle scène des peupliers, où Eugénie se promène en retrait de son père et de Cruchot. Dans cette séquence, « je trouvais intéressant de baisser progressivement le son des dialogues entre le notaire et le tonnelier, qui ne se préoccupent que de chiffres. Je ne voulais pas de musique, de sorte qu’on entende le murmure de la nature. Eugénie ne se remet à écouter son père et le notaire qu’au moment où Grandet dit quelque chose de très violent la concernant. Là, le lien à la nature est rompu, et c’est très symbolique. », explique Marc Dugain.

Joséphine Japy dans Eugénie Grandet de Marc Dugain. Copyrights Ad Vitam.

Le travail sur le son, signé Lucien Balibar, permet également de sentir la présence de la maison des Grandet, son dépouillement, la promiscuité qu’elle induit ; soit une certaine idée du quotidien du XIXe siècle dans la campagne française. De sorte que, par petites touches, auxquelles la cadence ralentie de l’ensemble apporte du relief, ce film parvient à faire dialoguer la France sous la Restauration et la France actuelle. Ainsi son héroïne Eugénie devient-elle, sous la plume et la caméra de Marc Dugain, une jeune femme frondeuse en quête de liberté et d’harmonie. Une jeune femme moins d’hier que d’aujourd’hui.

 

Anne-Claire Cieutat