En décalage

S’aligner avec soi-même

Grâce à un usage singulier et captivant de la bande sonore, En décalage se démarque des autres films indépendants traitant du handicap.

 

Il est de ces films-concepts, où l’intrigue est cousue de fil blanc. À l’inverse, il existe des histoires soucieuses d’exploiter le plein potentiel de leur originalité. Des récits initiatiques, où l’inattendu et l’improbable permettent au protagoniste de se découvrir, pour enfin se révéler à lui-même. En décalage fait partie de ces derniers. Dans son premier long-métrage, le cinéaste espagnol Juanjo Giménez met en scène avec sobriété et efficacité l’asynchronie sensorielle, un syndrome neurologique rare désignant une perception désynchronisée de son environnement. En conséquence, le son parvient à l’oreille après ou avant l’image.

Il y a de quoi sombrer dans le désespoir, d’autant plus lorsque vous êtes une ingénieure du son, dont le métier repose sur la finesse de votre ouïe. Désœuvrée sur le plan affectif, la jeune et jolie technicienne s’emmure, au gré de ses symptômes, dans un silence honteux (subtile et digne Marta Nieto). Dès lors, la mécanique du thriller bat son plein. On guette l’apparition de chaque son. Celui-ci se fait de plus en plus attendre. Il se dérègle : il lui révèle les conversations passées d’un lieu et même ce qu’elle s’apprête à dire !

Copyright : Le Pacte et Alvaro Mascarell

Se refusant à devenir un rat de laboratoire interné dans un hôpital, l’héroïne se met donc en quête de trouver elle-même la cause et le remède à son trouble. Son cheminement intérieur convainc d’autant plus qu’il épouse la pellicule. En effet, les tons sombres et les plans nocturnes soulignent dans une première partie la solitude du personnage. À la résolution de l’histoire, un esthétisme lumineux et chaleureux survient, apportant avec lui l’espoir du renouveau. Contre toute attente, cette fin est semblable au phénomène sonore vécu, entre confusion et mystère.

Malgré quelques facilités scénaristiques, En décalage jouit d’une étrangeté fort aimable. Ce qui apparaît d’abord comme un handicap se métamorphose peu à peu en atout. En s’entendant de moins en moins bien, les personnages se comprennent paradoxalement de mieux en mieux. Enfin, voilà un clin d’œil créatif à une théorie scientifique difficilement représentable : le temps linéaire serait une illusion.

Hélène Robert