Duelles

Un duel psychologique haletant

Le Belge Olivier Masset-Depasse signe avec maestria un thriller paranoïaque sur deux mères, d’abord amies fusionnelles, puis dans la confrontation malsaine à la suite d’un drame qui les transforme.

Alice et Céline (convaincantes Veerle Baetens et Anne Coesens) habitent deux maisons mitoyennes aux jardins séparés par une haie. Un accident (l’enfant de Céline tombe par la fenêtre, échappant à leur surveillance) met leur amitié en péril, pulvérise leur complicité, et fait naître des sentiments troubles, mêlant la paranoïa et la jalousie.

En auscultant un traumatisme (le deuil de l’une, la culpabilité de l’autre) et ses conséquences sur l’entourage, le cinéaste, qui adapte le roman de Barbara Abel, Derrière la haine, met habilement en scène un jeu de miroirs macabre. Alice est blonde, Céline est brune, voisines et mères, elles sont les “duelles”, à la fois différentes et proches. On imagine Céline désireuse de prendre la place de celle qui a encore son enfant près d’elle. Ce garçon a son importance dans l’intrigue, objet soudain d’étranges convoitises. On pense évidemment à Hitchcock, d’autant que nous sommes au milieu des années soixante. Et l’ambiance inquiétante confère au film les aspects du film d’horreur. La tension devient même confrontation.

Alice se méfie des intentions de son ancienne amie, elle craint son désir de vengeance, chaque geste envers son jeune fils alimente sa suspicion. L’usage de visions floues, de jeux de reflets et de rideaux entrouverts participe à un huis clos angoissant sur la perte des repères et le trompe-l’œil. À chaque plan, on s’interroge sur la sincérité ou le simulacre de ces deux femmes, tantôt bienveillantes, tantôt menaçantes. Un suspense délicat apparaît à travers les intentions ambiguës.

Au-delà du thriller, la mise en scène prend son temps : son rythme indolent favorise l’immersion, l’empathie, et accentue la terreur de certaines accélérations. Olivier Masset-Depasse maîtrise son sujet, témoigne d’un regard attentif sur le dysfonctionnement de l’âme, et élargit son propos lorsqu’il tourne en dérision, à cette occasion, le glamour des maisons cossues, la propreté des jardins, les robes étincelantes des femmes au foyer. La confrontation est d’autant plus forte qu’elle se déroule sous le soleil, dans un cadre confortable et sans aspérités.

La symétrie parfaite des habitations et leur apparente hospitalité dissimulent des agressions passives, à l’image des petits fours empoisonnés. Les deux actrices jouent parfaitement cette ambivalence. C’est par leur proximité que le conflit a pu émerger. Et par le doute constant (menace réelle ou imaginée) que le film s’avère le plus magnétique.