So Long, My Son

Si loin, si proche

Fresque bouleversante, le nouveau Wang Xiaoshuai filme la Chine sur quarante ans. Un pan d’histoire, un pan d’humanité, portés par le puissant lien familial. Ours berlinois à la clé pour les deux interprètes principaux, solistes hors pair.

Voici venu le treizième long-métrage de Wang Xiaoshuai, roseau qui ne plie pas malgré la censure étatique qu’il a endurée dès ses débuts avec The Days en 1993. Vingt-cinq ans plus tard, il signe une épopée qui a marqué la Berlinale 2019, où les interprètes Yong Mei et Wang Jingchun ont reçu respectivement l’Ours d’argent de la meilleure actrice et du meilleur acteur. Un doublé que les jurys de la capitale allemande aiment signaler dans leur palmarès, quatre ans après Charlotte Rampling et Tom Courtenay pour 45 ans d’Andrew Haigh, et huit ans après les femmes et les hommes d’Une séparation d’Asghar Farhadi. Une idée du travail en commun. Il faut dire que les performances sont ici saisissantes. Tous deux portent leur personnage avec une force chavirante. Un couple et sa quête de filiation, qui traverse les montagnes russes – et même chinoises – de la vie.

Le réalisateur de Beijing Bicycle et d’ Une famille chinoise célèbre une nouvelle fois les êtres qui peuplent son pays, en rebondissant sur un bouleversement national : la fin de la politique de l’enfant unique survenue en 2011. Cet événement sans précédent a remis en pleine lumière un conditionnement existentiel qui a marqué plusieurs générations, et devient l’un des moteurs narratifs de ce récit riche en drames et empêchements, coécrit avec Ah Mei (Portrait de femmes chinoises de Yin LichuanSous l’aubépine de Zhang
Yimou
). La vie et la mort, la coexistence et la séparation, la réussite et l’échec, tout est là, tissé dans une toile dont chaque visage est un élément clé. En balayant le temps qui passe avec densité et finesse, il imbrique l’intime et le collectif, et touche au plus profond par l’universalité des enjeux. La durée de l’aventure, trois heures, n’en fait que davantage ressentir l’épaisseur, sans que la longueur pèse.

Rester vivant à côté de l’autre, ou pas. Supporter l’insupportable, ou pas. Assumer sa destinée, ou pas. Dans une nation qui a toujours privilégié l’intérêt du groupe à l’individuel, quitte à écraser ce dernier dans sa douleur. Autant de face-à-face avec soi et de rapports au monde que le cinéaste transcende par sa mise en scène ample, mais modeste. Toujours à hauteur humaine, et aidé de sa galerie de caractères, au premier rang desquels brillent donc les inspirants Yong Mei (The Assassin de Hou Hsiao-hsien) et Wang Jingchun (Black Coal de Diao Yinan). La réparation qui tente de se trouver une place. Ou au moins l’apaisement. Périlleuse aspiration.