Mariupolis 2

C’est un coup au cœur. Une plongée d’1 h 52 dans le quotidien des habitants de Mariupol en Ukraine. Filmée par le réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius, tué le 22 mars dans un bombardement alors qu’il tentait de quitter la ville.

Pas de voix off. Pas de musique. Des plans-séquences, montrant les habitants de la ville, un quartier pilonné, bombardé. Des vies déplacées, embusquées. Et pourtant, ça fume, ça discute. Sans pathos, presque sans colère. Un homme raconte comment il a ramassé le corps d’un voisin dans une brouette pour le déposer dans son jardin. Deux autres récupèrent un générateur dans la maison sur le seuil de laquelle un corps sans vie gît. En permanence, les sons de la guerre, tirs de mortier et rafales en tous genres, couvrent les conversations. Des coups de feu font courber les têtes par réflexe. Comme si l’inévitable pouvait être évité.

Mantas Kvedaravicius filme, enregistre et restitue la vie qui continue. Cette incroyable force des êtres qui fait que, malgré l’innommable, ces hommes et ces femmes restent debout. Ils cuisent la soupe, constatent que « Ces bombes nucléaires peuvent détruire la terre cent cinquante fois… », ajoutent : « Une fois ne suffit pas ? » Dans la nuit d’une église refuge, un homme parle, on ne le voit pas, on l’entend dire qu’il est seul avec son fils, qu’il ne sait comment faire, puis sangloter. Dans ce même lieu, un prêtre harangue quelques égarés, leur conseille, s’il s’interrogent sur Dieu, d’aller voir les morts au théâtre qui vient d’être bombardé. Pour comprendre qu’il y a pire et que, si eux ont survécu, c’est au Seigneur qu’ils le doivent… Certaines maisons du quartier, devenues familières à nos regards, s’écroulent ou s’endommagent sous les souffles des bombes. Aux fracas continus de la guerre s’ajoute le frottement des balais qui rassemblent verre brisé et gravats. Et pourtant, rien n’arrête la vie, sauf la mort. Le chien qui hante les lieux cherche de la nourriture, et des pigeons survivants au bombardement du grenier de la maison où ils étaient 300 reviennent se percher à côté du cratère, là où étaient leurs habitudes. À eux aussi.

Ce documentaire saisissant l’est d’autant plus que son réalisateur (déjà auteur de Mariupolis, 2016) a été tué dans un bombardement le 30 mars 2022, allongeant la longue liste des morts depuis le début de l’invasion russe. Il arrive sous nos yeux coréalisé par sa compagne Hanna Bilobrova et monté avec grâce et respect par Dounia Sichov. Sans montrer frontalement la guerre, le film nous y plonge et c’est si quotidien que c’en est terrifiant.