Nos batailles

Un champ d’amour

En deux films, Guillaume Senez s’affirme comme un conteur sur lequel il va falloir compter dans les années à venir. Son nouveau voyage humain est une ode puissante au lien. Avec Romain Duris, magnifique dans le rôle de la maturité.

La finesse d’observation et d’écriture de Guillaume Senez avait fait mouche il y a trois ans avec Keeper. Si son premier long-métrage n’avait pas eu les honneurs cannois, son deuxième film vient de démarrer son parcours en séance spéciale à la Semaine de la Critique. Le héros adolescent du premier, qui se battait avec ses choix de vie de footballeur et sa paternité précoce, laisse la place ici à un quarantenaire en pleine lutte avec lui-même et avec le monde. Et Romain Duris trouve en Olivier l’un de ses plus beaux rôles, treize ans après De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard. Un personnage puissant dans sa combativité sociale, professionnelle, familiale, paternelle. Puissant dans ses faiblesses aussi. Car le cinéaste belge, qui passe lui-même le cap des quarante ans cette année, et s’est nourri de sa séparation conjugale et de son lien à ses enfants, cisèle avec sa scénariste Raphaëlle Desplechin le portrait d’un homme qui reçoit et affronte les événements à bras-le-corps. Sans esbroufe stylistique, mais avec une construction subtile des caractères, des situations, des dialogues, et de leur enchaînement narratif, le film emporte le morceau.

Cannes 2018 : Nos batailles de Guillaume Senez. Copyright 2018 Iota Production.

Une véritable fresque des temps modernes, à l’ère de la mondialisation, de la déshumanisation, du burn out et de la course épileptique à la performance et à la satisfaction immédiate. Nos batailles est un chant d’amour à l’humanité. À ses peurs, à ses coups durs, à ses combats, à ses pertes de vitesse, à ses résignations, à ses abandons, à ses résistances. Un chant qui embrasse le champ des possibles. Celui de passer dans la même scène de l’affrontement à la tendresse, comme lorsque Olivier et sa sœur Betty finissent enlacés sur Le Paradis blanc de Michel Berger. Celui de passer de l’énergie combative à l’émotion du retrait de la lutte syndicaliste, avec la collègue et amante Claire. En visant juste, Senez touche au cœur et serre la gorge de ses spectateurs. Grâce à sa direction d’acteurs, faite d’alchimie entre improvisation et dialogues écrits. Grâce à son casting hors pair, où les aguerris, d’une modulation interprétative de stradivarius (Duris, Calamy, Dosch, Debay, Valadié), est illuminée par la présence de deux enfants au flair d’incarnation dingue : Basile Grunberger et Lena Girard Voss. Nos batailles sont définitivement nôtres.