Enamorada

Tempérament de feu à Cannes Classics

La Croisette en mai, ce n’est pas seulement des films tous frais tous nouveaux. La Sélection officielle propose avec la section Cannes Classics de revisiter le patrimoine cinématographique mondial. Des reprises côtoient des documentaires et portraits sur des personnalités qui ont marqué l’histoire du 7e art. Parmi la bonne vingtaine de pépites de l’édition 2018, un trésor mexicain restauré : Enamorada d’Emilio Fernandez. Présenté par Martin Scorsese, s’il vous plaît !

Martin Scorsese, Thierry Frémaux, Olivia Harrison. Photo Olivier Pélisson.

Sorti au Mexique à Noël 1946, en France en août 1947, et présenté à la Mostra de Venise 1947, Enamorada est une fresque amoureuse réalisée par Emilio Fernandez, connu notamment pour ses œuvres avec Dolorès Del Rio (Maria Candelaria, l’un des Grand Prix à Cannes en 1946). Egalement célèbre comme acteur, il tournera des dizaines de films, dont des passages remarqués chez Sam Peckinpah (La Horde sauvage, Pat Garrett & Billy the Kid) et John Huston (Au-dessous du volcan). La copie, magnifique de restauration, offre un noir et blanc éclatant, qui salue le travail de son fidèle chef op’ Gabriel Figueroa, que John Ford (pour Dieu est mort), Luis Buñuel (pour Los Olvidados ou El), et Huston encore (pour La Nuit de l’iguane qui lui vaudra une nomination aux Oscar), embaucheront.

Enamorada démarre comme un film d’aventure sous tension, pour devenir une chronique amoureuse, nourrie d’un humour corrosif. C’est l’histoire d’une petite ville de province en pleine Révolution mexicaine (1910-1920). Un général, fraîchement débarqué dans la bourgade, séquestre l’homme le plus riche du coin, pour lui soutirer ses lingots et financer son armée. Mais tout vrille quand le moustachu sanguin croise la route de l’incendiaire Beatriz, qui le subjugue et va faire exploser son autoritarisme, revirement bienvenu puisqu’elle est la fille du Don prisonnier.

Maria Felix embrase l’écran par son regard puissant et sur-expressif, sa silhouette sublime, et son jeu délirant, entre rythme effréné et art de balancer ses répliques. Pedro Armendariz étincelle de glissement progressif, du sadique général de sa première séquence à l’amoureux transi qui va faire chavirer le cœur sauvage de Beatriz. Les murs blancs des bâtisses éclatent. Les pierres et les reliefs des églises magnétisent le regard. Les pupilles des interprètes au sang chaud happent les spectateurs.

Enamorada (Amoureuse) a bénéficié d’une restauration aux petits oignons, sous l’impulsion du cinéphile engagé qu’est Martin Scorsese, avec la société en aide aux films étrangers The Film Foundation’s World Cinema Project, dérivée de la pionnière The Film Foundation, créée en 1990 par « Marty » et ses amis cinéastes américains. Cerise sur le gâteau cannois que d’avoir, dans la bien nommée salle Buñuel du Palais des festivals, le prolixe et enthousiaste réalisateur, ainsi qu’Olivia Harrison, veuve du « Beatles » George Harrison, et mexicaine d’origine, également impliquée dans la rénovation de ce classique délicieux. Une présentation grand luxe sous l’égide de Thierry Frémaux, qui a permis de remettre en lumière, soixante-douze ans après sa création, un long-métrage au tempérament de feu.