Brooklyn Affairs

Une belle et noire nostalgie

Un scénario digne de ceux des grands films noirs d’autrefois. Une réalisation parfaitement maîtrisée, combinant les formes anciennes et modernes. Une interprétation hors pair. Tout cela étant dû à une seule personne ou presque : Edward Norton. Quatre raisons suffisantes pour se précipiter à ce film, que les Américains ont bêtement boudé.

Un détective privé, atteint de la maladie de Gilles de La Tourette, qui le handicape considérablement sur le plan de la communication, se lance, suite à l’assassinat de son employeur, dans une enquête qui le conduit en plein cœur du milieu mafieux de l’immobilier new-yorkais, dans les années cinquante.

Dès l’ouverture du film, de par l’excellence de sa photographie contrastée (Dick Pope, le chef-opérateur attitré de Mike Leigh), du découpage minutieux et efficace de la narration, de l’indispensable recours à la voix off distanciatrice et de l’interprétation immédiatement impressionnante d’Edward Norton, on sait que l’on va voir un film noir qui va se hisser au niveau des plus grands spécimens du genre tels Le Faucon maltais (John Huston, 1941), Le Grand Sommeil (Howard Hawks, 1946) ou, plus près de nous, parmi les néo-noirs, Le Dahlia noir (Brian De Palma, 2006) ou Inherent Vice (Paul Thomas Anderson, 2014). Le monde décrit, en effet, est bien celui dépeint depuis toujours par le genre, à savoir un univers profondément corrompu tant par ses individus que par ses différents appareils institutionnels, comme ici celui des responsables de l’aménagement urbain de New York. Une corruption qui sera exposée au grand jour par un gumshoe, un détective privé, déterminé à venger son employeur par tous les moyens, ne baissant jamais les bras à la manière de ses prestigieux aînés, Humphrey Bogart ou Dick Powell.

Le film est donc empreint d’un fort parfum de nostalgie de l’époque où le genre commença à fleurir (le début des années quarante), puis à s’épanouir (jusqu’en 1955). Sa réalisation l’entretient au moyen d’une photographie tout en contrastes d’ombres et de lumières, calquée sur celle des classiques du genre, et d’un découpage au rythme modéré, qui ne cède en rien à celui, survitaminé, des films américains d’aujourd’hui.

Brooklyn Affairs d'Edward Norton. Warner.

Ce parfait respect du genre est, en outre, sublimé par l’interprétation hautement inspirée de son producteur, scénariste (le film est adapté du roman Les Orphelins de Brooklyn/Motherless Brooklyn de Jonanthan Lethem), réalisateur et acteur principal, Edward Norton, qui nous subjugue dans sa composition hyperréaliste de la maladie de Gilles de La Tourette. Celle-ci consiste en une série de tics moteurs et vocaux, exacerbés lors d’un stress particulièrement intense, qui conduit le malade à exprimer des insultes ou des pensées normalement réprimées. En ont été victimes des artistes comme Mozart, Satie, Dickens, Kafka ou Malraux. Norton, qui nous avait déjà impressionnés par plusieurs de ses interprétations passées (Fight Club de David Fischer, 1997 ; Au nom d’Anna, sa première réalisation, 2000 ; son double rôle dans Escroc(s) en herbe de Tim Blake Nelson, 2010 ; Birdman d’Alejandro González Iñárritu, 2014), nous offre là une composition exceptionnelle, digne d’un Oscar le 10 février prochain (mais pourra-t-il faire le poids devant le Joker de Joaquin Phoenix ?), qui pourrait au moins relancer la carrière de cet enfant prodige quelque peu malmenée ces dernières années.

Une réussite totale que la cinéphilie française se doit d’honorer, contrairement à celle de plus en plus aveugle de son pays d’origine.