La Bonne Épouse

L’art suranné des bonnes manières

Martin Provost met en scène la vie d’une maison de formation aux arts ménagers et aux « bonnes mœurs » de la France d’avant mai 68 dans La Bonne Épouse, comédie hybride et pop, dont la fantaisie apparente cache la noirceur en profondeur.

L’assise historique sur laquelle repose le scénario de La Bonne Épouse, cosigné par Martin Provost et Séverine Werba, est irréfutable, et pourtant, on peine à se représenter qu’elle constituait bel et bien une réalité tangible, il y a un peu plus de cinquante ans. L’action de cette comédie revendiquée se tient juste avant les événements de mai 1968 dans un établissement alsacien qui formait, comme un peu plus de mille autres dans le pays, les jeunes filles aux arts ménagers et aux bonnes manières dans l’optique de faire d’elles des épouses irréprochables. Comprendre : des femmes capables de maîtriser leurs désirs, et dont tous les efforts convergent à satisfaire la volonté de leur époux. À l’heure où la voix des femmes se fait entendre et tente de dissiper les remugles du patriarcat encore trop dominant, cette comédie un peu bancale, mais pleine d’énergie salutaire, résonne fortement.

Martin Provost, dont la filmographie fait la part belle aux figures féminines en voie d’émancipation (Le Ventre de Juliette, Séraphine, Où va la nuit, Violette, Sage femme), fait naviguer sa Bonne Épouse entre plusieurs eaux. La fantaisie y flirte avec le grotesque (c’est l’aspect le moins séduisant du film), et le tragique avec la comédie musicale. Des couleurs pop des costumes, maquillages et décors, au jeu facétieux des principaux comédiens – Juliette Binoche, Noémie Lvovsky, Yolande Moreau, la fidèle interprète du réalisateur, François Berléand, envisagé dans un rôle caricatural, et Édouard Baer, charmant en amoureux fou -, tout converge à créer un monde outrageusement enchanté pour mieux en dénoncer les aberrations.

On regrettera que les personnages des jeunes pensionnaires ne prennent pas plus de place, car à travers elles se racontent des drames – la difficulté de vivre son homosexualité ou le désastre des mariages arrangés, par exemple – qui auraient pu nourrir davantage la part romanesque contenue aussi dans ce film. Reste qu’une énergie vitale de bon aloi traverse ce récit de bout en bout. Il faut voir avec quelle détermination la drôlissime Noémie Lvovsky revêt son costume de bonne sœur revêche… Quant à Juliette Binoche, dans la peau de Paulette Van Der Beck, elle opère une transformation physique réjouissante et conduit son personnage de femme entre deux mondes aux portes de l’exultation. Bigger than life dans un final casse-gueule mais audacieux, elle crève l’écran et suggère aux spectateurs/trices de faire vibrer leur cœur profond, portée par sa foi dans les pouvoirs subversifs et libérateurs du cinéma.