Atlantic Bar, sélectionné au Festival de Cannes à l’ACID, est né dans le cadre d’un projet photographique. Pendant quatre ans, Fanny Molins a suivi les hauts et les bas de l’Atlantic bar, à Arles, où les émotions coulent à flot.
L’été, à Arles, la chaleur est souvent écrasante. Dans cette ville en pleine transformation, rendue célèbre par Van Gogh, et connue mondialement pour ses Rencontres Photographiques, la jeune réalisatrice Fanny Molins suit la mise à mort de l’un des derniers lieux populaires du centre d’Arles. Après l’annonce de la mise en vente du bar, les rêves sont immenses, les désillusions aussi.
Alors que la Tour Luma s’érige lentement, symbolisant à la fois la fin d’un cycle de l’Histoire arlésienne et le début d’un autre, Fanny Molins pose un regard d’une acuité infinie sur une micro-société composée de piliers de bar, de personnalités hautes en couleurs, et de protagonistes attachants, sur fond de désespoir.
Plus qu’un commerce local, l’Atlantic Bar est une famille recomposée. « Il fait peut-être lourd, mais j’ai le cœur léger », clame un régulier. Ça chante, ça se cherche, ça se trouve, ça se perd. Si l’on ressent, comme la jeune réalisatrice, une telle tendresse pour le drame qui se déroule devant nos yeux, c’est certainement parce que ses personnages semblent traverser l’écran, tout autant que les joies et les drames de leur quotidien soudain mis en péril. Lien social par excellence, ce bar de quartier est à la fois salon de conversations, club de jeux, espace sacré, aimant de personnalités typiquement atypiques. On est sobre, on est saoul. On est triste, on est heureux. On danse comme on boit. Beaucoup. On s’aime comme on s’insulte. Bien. On respire. On étouffe. On se cache. On s’expose. On explose. La joie de vivre est aussi inimitable que l’accent arlésien.
La grande réussite de ce documentaire si prenant qu’il pourrait être une fiction, c’est qu’il parvient à dépasser la réalité pour révéler, en chacun et en chacune, en tout lieu aussi, une poésie absolue. La démarche est servie par son chef-opérateur, Martin Roux, dont la lumière et l’image en 4/3, comme pour mieux assurer la une continuité à l’approche photographique de la réalisatrice, mettent en valeur et cisèlent chaque plan, révélant sans voyeurisme les failles béantes et les douleurs inassumées. Il faut dire qu’à Arles, on se tient droit, on reste fière, on garde la tête haute et on n’ouvre que rarement son cœur. Mais quand on l’ouvre, on le fait sans peur, sans réserve. Ce qu’il y a de plus précieux, de plus sensible dans l’humanité est brillamment révélé en moins de 90 minutes. Le manque, le deuil, l’injustice, une forme désuète de l’honneur qui fait souvent défaut aujourd’hui… : les aspérités de l’âme sont toutes offertes ici, comme un cadeau rare, et portées par une productrice passionnée et respectueuse, Chloé Servel, qui n’a eu de cesse que le film existe.
Entre deux titres de Johnny, la musique originale est signée A Transient State (alias Jason Del Campo et François Simitchiev). À la fois puissante et retenue, elle nappe, elle soutient, elle emporte avec une grâce authentique, par vagues. Rien d’étonnant, alors, à ce que nous, spectacteurs impuissants d’un drame finalement universel, n’ayons finalement qu’une envie, tenace comme une persistance rétinienne qui prendrait corps : prendre Nathalie, Jean-Jacques, Andro et leurs camarades dans nos bras, pour danser avec eux jusqu’au bout de la nuit, entre le brouhaha et l’apaisement, les petits espoirs et les grandes espérances.
Mary Noelle Dana