L'Atelier

Les mots pour le dire

Ultra-intense, ce récit confronte un jeune en insertion à une femme écrivain en vogue dans le cadre d’un atelier d’écriture. Le soleil méditerranéen brûle. Les frustrations pèsent. Le déterminisme social plane. Et Laurent Cantet transcende ce récit naturaliste en une épopée intime et fulgurante.

Le tandem Cantet/Campillo garde le cap de sa fructueuse collaboration. Une amitié de bientôt trente-cinq ans lie ces deux créateurs. Pour la première fois, Robin Campillo, célébré en solo cette année avec 120 battements par minute, n’assure pas le montage du nouveau Laurent Cantet. Mais il continue d’être son coscénariste. Il est même à l’origine de ce projet, après avoir planché comme monteur sur un reportage, où une auteure anglaise animait un atelier d’écriture avec des jeunes de la Ciotat, qui devait servir de décor à leur prose. Avec ce postulat de départ datant de 1999, les deux C ont bâti une puissante trame romanesque, qui résonne avec l’actualité, au soleil brûlant de la Méditerranée. Un atelier donc, mené par une plume à la mode, en vue de produire un polar local avec une poignée de jeunes en insertion.

Très intense, ce récit joue à la fois du huis clos, avec les séances de travail de groupe, et de l’ouverture, avec les scènes sur les falaises, face à la mer. De l’exhibition, avec l’audace juvénile et la fierté méridionale, et du voyeurisme, avec la traque de l’élève sur la professeure. Le pouvoir de l’imaginaire face au déterminisme social. L’ouverture au monde face à la tentation du nationalisme. Le choc des univers a lieu. Sourd, puis flagrant. À vif, quand il faut trouver les mots pour exprimer, convaincre, justifier, lutter. Compliqué pour le héros Antoine, à la discipline sportive, musculaire, irréprochable. Et à l’envie monstre de s’exprimer par des histoires. Mais quand la réalité du monde fait peur, on s’invente des chimères radicales, pour mieux masquer la peur de l’autre, de l’inconnu, de l’avenir incertain.

Pour une première à l’écran, Matthieu Lucci est impressionnant de tension physique et mentale, face à une virtuose de l’incarnation troublée. Marina Foïs tient la garde en écrivain vedette, confrontée au réel tranchant et fascinant de la jeunesse. Une rencontre de haute volée, que Cantet inscrit puissamment dans l’histoire d’une ville dont le passé ouvrier et portuaire a été balayé. Le format Scope et la photographie de Pierre Milon élèvent le film encore un peu plus, dans la rugosité sombre où deux visages peuvent coexister en gros plan. Mais où un seul corps peut aussi s’isoler, sur fond de paysage majestueusement aride dans sa minéralité. L’Atelier est une épopée intime flippante et entêtante.