L'Assemblée

Rêve général

Parole et mouvement, mouvement et parole. Sur la place de la République, la documentariste observe les « Nuit Debout » et filme l’Histoire. Passionnant.

« Enfin quelque chose se passe… Quelque chose, mais quoi ? » Un mouvement, un rassemblement, une assemblée. Pour réagir à la Loi El Khomri (qui finira par passer à coup de 49.3), puis pour inventer autre chose, une Démocratie digne de ce nom. Des hommes, des femmes, jeunes pour la plupart, trentenaires pour aller vite, se retrouvent et discutent. Jour après jour, soir après soir. Il y a les gestes qui permettent de couper la parole ou au contraire de l’encourager. Il y a les commissions qui se réunissent pour parler des commissions. La difficulté qu’il y a à se parler. Et à s’entendre. À voix hurlante, au porte-voix, au micro ou à la criée (par vagues, l’auditoire reprend les phrases, les répercute comme en écho), toutes les paroles sont ici saisies au vol ou scrutées (car il y a aussi la langue des signes) par la réalisatrice de Histoire d’un secret, Entre nos mains, et À ciel ouvert. Et le silence qui suit le lâcher des gaz lacrymogènes, c’est la répression policière qui a enfin réussi son coup… Mariana Otero s’est jetée avec sa caméra dans cette aventure, sans savoir où elle allait… puisque personne ne le savait.

Le résultat est un film politique, sur le collectif, comment il naît, comment il peine à se construire et à perdurer, comment un gouvernement peut l’entraver… Ici, le centre, c’est la République, la Place, ce lieu de rassemblement où convergent des désirs, des rêves, des idées. Où il pleut aussi, souvent (« La météo est vraiment de droite », rigole quelqu’un). Pas de vedettes, que des anonymes (malgré la présence de Jean-François Ruffin au début) même si, à force, au fil du temps, du « 37 mars » au « 144 mars » 2016 (1er avril au 21 juillet, date de présence sur place de la réalisatrice), on reconnaît les femmes et les hommes derrière certaines voix, parmi les forces vives qui s’amenuisent. Car oui, tout cela s’est égayé et c’est bien triste. La mélancolie du ratage, ou du moins du non-accomplissement, accompagne la réalité du film : cet élan a fini par s’essouffler, et, si un autre monde est possible, il va falloir attendre encore un peu… N’empêche, ce qui reste de Nuit debout dans les mémoires et dans les cœurs habite le film qui témoigne pour l’éternité. De ce quelque chose qui s’est passé. Quelque chose, mais quoi ? « Nuit debout c’est un état d’esprit, un outil », dit quelqu’un. « On est surtout ici pour apprendre…», dit un autre. Alors, demain ?