Allons Enfants

Se perdre et retrouver le goût de l’abandon

Sur les pas de deux enfants perdus qui flânent à la Villette, Stéphane Demoustier transforme avec sensibilité le traumatisme de la perte en soif de liberté.

Après un premier long métrage, Terre battue, sélectionné à la Mostra de Venise en 2014, Stéphane Demoustier revient dans une forme courte (à peine une heure). Dans les jardins de la Villette, Cléo (3 ans et demi) joue avec son frère jumeau Paul, s’éloigne et se perd. Le film va ainsi capter l’errance de ces enfants livrés à eux-mêmes dans le parc, avec une caméra à leur hauteur, dans un ton à la fois réaliste, fantaisiste et onirique. Le réalisme presque documentaire émerge de l’unique lieu, le parc de la Villette, filmé comme un troisième personnage, peuplé de ses véritables habitants. Par ailleurs, les deux jumeaux jouent leur propre rôle, Cléo et Paul. Leur père est le réalisateur.

La fantaisie apparaît par un jeu amusant sur les échelles, ces petites personnes se confrontent à un canal, des fontaines, un parc, un terrain de jeu trop grand pour eux. La cocasserie survient aussi avec l’insolence de Cléo, dérangeant les autres enfants, et lorsque Paul engage la discussion avec des militaires du plan Vigipirate. Les personnes qu’ils croisent n’existent que par leurs jambes, ou par leurs costumes de fonction. Le monde filmé se déréalise alors, l’itinéraire de ces enfants vagabonds se mue en cauchemar (ou en rêve, car rien ne semble leur faire peur). L’agitation est plus du côté des joueurs de Pokémon qu’on aperçoit rivés à leur téléphone, adultes infantilisés face aux enfants à la découverte de tout ce qui les entoure.

Allons Enfants de Stéphane Demoustier. Copyright Norte Distribution.

Même la jeune femme (Vimala Pons) qui croise par hasard le chemin de Cléo et cherche à la mettre en sécurité, témoigne d’un empressement. Elle doit rejoindre un ami. Elle n’a pas le temps de se préoccuper du sort de l’enfant. Cette adulte intervient de manière impromptue dans la réalité du film, comme si ce personnage de fiction (en l’occurrence représenté par une actrice identifiée) s’invitait dans le documentaire. Le cinéaste greffe ainsi à l’échappée enfantine une romance, celle du couple formé par Vimala Pons et Anders Danielsen Lie, dont les préoccupations deviennent soudain dérisoires face à l’innocence des petits. Une certaine cruauté se dégage de cette mise en parallèle entre le vagabondage des jumeaux et une relation amoureuse visiblement contraignante.

Le film dérive doucement vers le conte jusqu’au happy end. Un travelling latéral suivant la marche de Paul de profil le long du quai sur des notes de synthés (signées par Vimala Pons elle-même), un manège sur le son du Casse Noisette de Tchaïkovski, le visage vide d’une nourrice désemparée d’avoir perdu ses deux chérubins, sont autant de moments magiques, portés par une mise en scène en équilibre, qui a le don de s’effacer tout en magnifiant ses sujets.

Benoit Basirico