200 mètres

Jusqu’à ce que le mur nous sépare

Un père de famille palestinien essaie de rejoindre son fils blessé en Israël. Entre drame social, road-movie politique et thriller haletant, ce premier long-métrage intense donne envie de hurler et touche au cœur.

Le soir, ils se téléphonent et allument des lumières pour s’envoyer des baisers dans la nuit. Par-dessus le mur. Parfois, ils sont ensemble. Parce que Salwa, son épouse et leurs trois enfants le rejoignent dès que possible dans la maison de sa mère à lui, en Cisjordanie. Deux cents mètres, c’est la distance qui les sépare, à vol d’oiseau. Mustafa d’un côté, sa femme et ses trois enfants de l’autre, et ça fait des années que ça dure. 

Il travaille sur des chantiers, passe les checkpoints comme des milliers de Palestiniens, en troupeau derrière des grillages, se fait malmener, humilier, refouler, pour une carte périmée, un permis pas en règle. Mustafa est calme, presque résigné. Il suit les règles. Ce que montre d’abord ce premier long-métrage, sans pathos, mais avec densité et force, c’est la violence sourde de tous ces interdits au quotidien : dormir avec sa femme, border ses enfants, aller d’un endroit à un autre, travailler où l’on veut. Une vie empêchée, parmi d’autres vies empêchées entre Israël et la Palestine. 

Et puis, la fiction change de cap, imprime une urgence (un enfant blessé) et la nécessité de transgresser. Il devient road-movie, thriller : d’autres passagers s’invitent dans le voyage. Chacun a une bonne raison, certains ne disent pas toute la vérité. Et la peur monte à bord du minibus clandestin conduit par des passeurs peu scrupuleux. 

Même si le film est très ancré dans sa réalité particulière, il touche à l’universel par sa façon d’ouvrir le champ à toutes les absurdités. Qu’elles soient la conséquence d’un mur, de frontières, d’une guerre, toutes les impossibilités se ressemblent. Et donnent envie de hurler. Multiprimé dans les festivals, de Venise à Goa en passant par Thessalonique, ce premier long-métrage est un coup de maître. On pense aux fictions entravées de l’Iranien Asghar Farhadi, et aussi, dans l’obsession tranquille de Mustafa à continuer sa route malgré tout ce qui s’y oppose, à l’univers des frères belges, Jean-Pierre et Luc Dardenne. De même qu’il change de genre, le film mélange aussi les styles. Suivant pas à pas le personnage principal, incarné, habité devrait-on dire, par Ali Suliman, après une ouverture en plans larges, la caméra va et vient, suit des routes, semble se bloquer, ralentit, puis repart pour mieux se déployer à l’intérieur du véhicule, donner la parole aux uns et aux autres, embrasser le chaos. Et faire au bout du compte le portrait d’une humanité déchirée et déchirante.