Jojo Rabbit

Satire à hue et à dia

Le Néo-Zélandais Taika Waititi s’essaie à la satire sur la vie quotidienne d’un garçon de dix ans enrôlé aux Jeunesses hitlériennes et dont l’ami imaginaire est Adolf en personne. Bien tenté, mais le résultat – malgré une pluie de nominations aux Oscars -, laisse perplexe.

 

1945. Jojo, jeune Allemand de dix ans, dont la sœur aînée est morte et le père parti au combat, vit seul avec sa mère Rosie, dans un petit village. «Très porté sur les svastikas», Jojo arbore fièrement l’uniforme des Jeunesses hitlériennes et a pour ami imaginaire Adolf Hitler.
Mais, un jour, il découvre, dans le grenier de sa maison, Elsa, une jeune juive, qu’il ne peut dénoncer sous peine de mettre en danger sa propre mère qui l’a cachée. Il se rapproche alors du « monstre » pour l’étudier… Son univers et ses croyances s’en trouvent bouleversés.

 

Jojo Rabbit : Photo Taika Waititi Copyright 2019 Twentieth Century Fox

On voit bien la volonté affichée de tourner en dérision le bourrage de crâne de la jeunesse au temps du nazisme, et le réalisateur, également auteur du scénario (librement adapté du roman de Christine Leunens), interprète lui-même avec des mines de clown et une certaine propension au ridicule ledit ami imaginaire. Dans son deuxième (et très joli) long- métrage, Boy, (sorti chez nous en 2012), Waititi observait déjà l’univers enfantin avec humour et dérision. Il récidive ici dans un contexte pour le moins scabreux : le nazisme. Il le fait avec une certaine énergie, des clins d’œil évidents à l’univers bigarré de Wes Anderson et sous le poids de quelques références écrasantes en la matière, qui vont du Dictateur de Charlie Chaplin à La vie est belle de Roberto Benigni. En passant par To Be or Not to Be (Jeux dangereux) d’Ernst Lubitsch, dont on retrouve ici l’inénarrable « Heil, myself ! » proféré par (le faux) Hitler.
Le problème, c’est que l’on reste pantois devant le déploiement de grotesque mis en œuvre dès le début. Avec le face-à-face Jojo/Hitler et le camp d’entraînement où un capitaine borgne (Sam Rockwell, exubérant), son assistante (Rebel Wilson) et quelques fantoches décérébrés vocifèrent sur des gamins. Et où Jojo, à qui il est demandé d’étrangler un lapin, s’aperçoit qu’il n’a peut-être pas en lui toute la vilenie requise… avant de sauter avec la grenade qu’il a subtilisée et d’en sortir défiguré et boiteux.
Difficile de rire, impossible même. Quelque chose se grippe dans cette mécanique. On est glacé. Et le jeune interprète de Jojo, Roman Griffin Davis, est monolithique façon singe savant et repousse l’empathie.
La force du film, visuellement très travaillé, notamment dans ses décors et costumes, vient des personnages féminins. La mère de Jojo, incarnée par une Scarlett Johansson inventive et versatile, s’avère être une Résistante, désolée de l’orientation politique de son rejeton. Les scènes de tendresse, notamment celle où elle personnifie le père de Jojo pour recréer un semblant de cellule familiale, font mouche.

Jojo Rabbit : Photo Taika Waititi Copyright 2019 Twentieth Century Fox

Et puis il y a Elsa (splendide Thomasin McKenzie, repérée dans Leave No Trace de Debra Granik), en adolescente pourchassée, qui entre dans le jeu de Jojo pour mieux lui montrer qui elle est profondément, loin du monstre dangereux que décrivent les nazis. Leurs discussions, le plus souvent émouvantes, apportent aussi le sourire qui nous manque si cruellement dans les autres moments du film.
Prix du public à Toronto et Aspen, nommé pour six Oscars, dont celui du meilleur film, Jojo Rabbit a pour lui son ambition. Estimer le résultat (ni film pour enfants, ni comédie désopilante) peu convaincant n’empêche pas de saluer la tentative, courageuse et rare, de trouver un ton original pour raconter une époque terrible. Et décortiquer des préjugés sur « l’autre », l’étranger, le différent, dont certains ont, hélas, encore cours de nos jours.