Gravity

Là-haut

Alfonso Cuarón n’est pas le premier homme à marcher sur la lune, mais il est le dernier des cinéastes en date à nous aventurer avec un chef-d’œuvre dans cet espace délesté et ce temps ouvert. Quel était le dernier réalisateur à nous avoir attachés avec un tel brio, dans ce décor fascinant et splendide, extraordinairement démesuré, confiant dans la puissance absolue du cinéma  et dans la liberté d’explorer ici l’espace déployé de ses allégories? N’a-t-on plus vu cela depuis 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, comme l’a dit James Cameron, grand faiseur, œil expert ?

Gravity ne gagne pas l’espace pour atteindre le territoire d’une science-fiction, d’une anticipation ou d’une futuriste  projection. Alfonso Cuarón écrit le scénario plausible, possible, d’une mission spatiale américaine contemporaine, à 600km de la Terre : une spécialiste en ingénierie médicale fait partie de l’expédition, aux côtés d’astronautes expérimentés. Mais lors d’une sortie dans l’espace, une pluie de débris de satellites pulvérise la navette et fait basculer le voyage dans la dimension tragique et intranquille de la catastrophe spatiale. La scientifique et un astronaute sont les seuls survivants de l’équipage et dérivent dans le silence terrifiant, vaste comme un trou noir. Sandra Bullock et George Clooney, arrimés l’un à l’autre,  sont deux corps flottants, deux corps errants dans l’espace infini,  qui s’épuisent, cherchent leur souffle, manquent d’air et suffoquent, enserrés dans leur combinaison claustrophobe comme dans un paradoxal huis clos dans le vide immense, à l’atmosphère étouffante.

Gravity n’est pas un film de promenade émerveillée, en surplomb extatique de la Terre – vue du ciel, c’est si beau, cette splendeur. Entre stases narratives et emballements de la machine du récit,  ce grand film fluide et en mouvement de fond, à l’immersive 3D, paraît trouver à chaque plan un point de vue nouveau, soignant chaque ligne, chaque perspective, chaque composition, comme tracés par une superbe ambition de parcourir la géométrie d’un espace multidimensionnel. Cette stylisation virtuose et cette maîtrise visuelle, magistrale proposition de cinéma et de spectacle,  ne se contente pas de prendre la mesure de l’espace et du temps. Il prend de la hauteur, littéralement. Le réalisateur mexicain fait de Gravity un beau film tendu, à la fois sensoriel et métaphysique, transporté par une réflexion sensible sur le cycle de la vie, la solitude, la mort, la perte, le deuil ; la gravité du titre pèse, de tout son sens, essentielle, tout au long de cette odyssée spatiale à suspense, où l’universel et le particulier s’enchâssent avec une rare intelligence. George Clooney insuffle à cette gravité une bienvenue légèreté, quand Sandra Bullock part en quête de soi, et irradie chaque instant, d’une sidérante présence, de ce drame à l’épure dont elle se relève. L’homme renaît et marche.