Gett, le procès de Viviane Amsalem

Autopsie d'un divorce interdit

Ronit et Shlomi Elkabetz retrouvent Viviane, personnage incandescent de leurs deux films précédents, dans Gett, le procès de Viviane Amsalem, huis clos en forme de procès. Un dispositif aussi simple qu’impressionnant, qui leur permet de dénoncer, une fois encore, les archaïsmes de la société israélienne.

Difficile, d’abord, de ne pas être intrigué. Dans le tribunal religieux qui sert de cadre exclusif à Gett, le procès de Viviane Amsalem, la blancheur dépouillée des murs réverbère avec force, en effet, la noirceur austère des vêtements, ceux des plaideurs comme ceux des juges. Premier impact, d’ordre graphique. Première immersion, belle et sévère.

Difficile de ne pas être saisi, aussi. De fait, il faut attendre que surgisse le mot « non », au bout de plusieurs minutes, pour qu’apparaissent le visage d’albâtre et les yeux sombres de Viviane, pourtant figure centrale de ce récit. Deuxième impact, aussi sonore que visuel cette fois. Comment mieux faire comprendre le statut (invisible) et la démarche (déterminée) de cette épouse et mère respectable, qui erre de salle d’attente en salle d’audience depuis des années pour réclamer un divorce que son mari lui refuse ?

Difficile de ne pas être captivé, en somme. Empruntant à la fable ses contrastes symboliques et son sens de l’épure, le nouvel opus de Ronit et Shlomi Elkabetz est en réalité une dénonciation cinglante, documentée, des archaïsmes de la société israélienne. Ceux-là mêmes qui, aujourd’hui encore, enferment la femme dans un environnement patriarcal sinon misogyne. C’est donc un vrai film politique. De fait, en Israël, seuls les rabbins peuvent prononcer un mariage et sa dissolution, qui n’est elle-même possible, de toute façon, qu’avec le plein consentement du mari. L’impact pour finir – et de la mise en scène, et de l’intrigue – relève donc du tsunami émotionnel, puisque l’on s’esclaffe au moins autant que l’on s’indigne et frissonne face à ce processus inique et ubuesque. Rondement disséqué. Brillamment interprété.

Jeu, set et match : c’est peu dire que le troisième film réalisé par le tandem Elkabetz impressionne. De fait, il leur permet de boucler leur trilogie sur la domination masculine – après Prendre femme en 2004 et Les Sept Jours en 2007 – avec une rare pertinence. Sur le fond comme sur la forme, le frère (réalisateur, coscénariste) et la sœur (réalisatrice, coscénariste et actrice principale) renouant une fois encore avec le huis clos – emprisonnement, réel et symbolique, de leur héroïne oblige – pour mieux en déjouer les pièges.

A mille lieues du théâtre filmé, la simplicité quasi « bressonienne » de leur dispositif – un lieu unique, trois juges-rabbins, un mari, une épouse, leurs défenseurs respectifs et une poignée de témoins –  n’est jamais fastidieuse. Grâce à l’alternance virevoltante de plans-séquences et de gros plans, mais encore d’humeurs, de tons, de rythmes différents (abattement, colère, tragédie, humour noir, et même purs moments de comédie) qui, ainsi, vivifient le film de bout en bout.

Et puis, culture méditerranéenne oblige, ça parle fort et bien. D’autant mieux que la dramaturgie s’appuie sur des acteurs de caractère. Ronit Elkabetz dans le rôle de Viviane, magnifiée, iconique, en impose façon Anna Magnani, tandis que Simon Abkarian, est tout aussi formidable dans le rôle passif-agressif de son époux, tout en silences et regards manipulateurs. De fait, avec eux, ça parle même quand ils se taisent. Sachant que dans ce cinéma en ébullition, ça parle fort et à tous, quoi qu’il en soit !

Pour preuve, et pour finir, le moment inouï où l’indomptable Viviane, après moult humiliations, rejets et années de dénis, dénoue, au tribunal, son lourd chignon couleur ébène sans mot dire, libérant ses cheveux à défaut de convaincre ses juges et époux de la libérer, enfin, de ce mariage absurde. Difficile, alors, de ne pas être sidéré par la force émancipatrice du geste (sa charge érotique, aux yeux de ses censeurs, est un affront). Raccord avec la puissance de sa seconde naissance, bien sûr, comme avec la portée transgressive du film tout entier…

Par Ariane Allard