The Voices

Schizo à mort

Marjane Satrapi métamorphose Ryan Reynolds en tueur en série fabuleux, gentil héros de conte gore, romantique dépeceur en combi rose dans The Voices.

Les animaux parlent. Tous les enfants le savent. Tous les enfants y croient. Les livres d’histoires sont pleins de ces bêtes qui parlent comme des hommes, aux hommes. C’est merveilleux, fabuleux, ou pas. Ce peut être cruel, terrifiant, monstrueux. Dans le monde fou de Jerry, le héros candide du nouveau film de Marjane Satrapi, les animaux parlent aussi. Un double langage, qui est à la fois celui léger et innocent des récits d’enfance et celui grave et conséquent des contes adultes. Ils parlent la voix de leur maître schizophrène et cette prosopopée est la manifestation de ses troubles psychotiques que la cinéaste envisage avec un humour dément. Ces deux bêtes domestiques, un chat et un chien, Bosco et M. Whiskas, s’entendent comme chien et chat, l’un brave toutou, l’autre vilain matou, l’un molosse, l’autre rosse. À l’entrée du vieux bowling désaffecté habité par le héros de The Voices, quelque part dans une ville américaine banale, on pourrait accrocher ce panneau : « Attention, chien gentil, chat méchant ! ». Car le chat est l’expression d’une voix maléfique, le chien la voix de la conscience et de la raison, à la manière sage du Jiminy Cricket de Pinocchio.

Depuis son entrée en cinéma par l’animation (Persepolis), continuée par de la prise de vues réelles (Poulet aux prunes), avec une parenthèse ouverte sur le road-movie narcissique (La Bande des Jotas), Marjane Satrapi a varié les genres. Conte gore, comédie romantique, thriller pop à la lisière du fantastique, The Voices les mixe dans un état de perturbation synchrone avec l’esprit malade de son personnage principal, joué par un Ryan Reynolds, parfait en tueur en série malgré lui, gentil garçon hors du monde, employé dans une usine au rose commercial kitsch, où il emballe des baignoires avec une gracieuse gaucherie. Maniaque, parano, délirant, halluciné, Jerry est un gars souriant immédiatement sympathique, à la paradoxale innocence, très enfantine, qui tue sans préméditation, par accident et maladresse, ses amoureuses (Gemma Arterton, Anna Kendrick), dont il stocke dans des boîtes en plastique les corps dépecés avec application.

Sa folie sanguinaire n’est jamais coupable : Marjane Satrapi rend terriblement attachant ce tueur qui n’a rien d’un méchant salaud, d’un ogre cannibale. La violence n’entre jamais dans le champ de sa vision. Si une parenthèse psychologique explique ce tueur jamais monstrueux, le renvoie au trauma d’enfance d’un matricide cauchemardesque, The Voices parle de la schizophrénie avec légèreté, une exubérante fantaisie, un sens assumé du grotesque inquiétant. Une façon joyeuse et heureuse de ne pas rétrécir la maladie au confinement d’un réalisme douloureux, de la décaler par un rire exaltant.