Birdman

Un oiseau dans le ciel

Birdman est à retrouver sur CINE+ A LA DEMANDE.

Grand cinéaste de la déconstruction, Alejandro González Iñárritu radicalise sa propre démarche dans un film-monstre, d’une fluidité et d’une richesse thématique à couper le souffle, où un théâtre new-yorkais devient l’épicentre de toutes les souffrances et de tous les possibles.

Amours chiennes, 21 Grammes, Babel, Biutiful… il n’est pas difficile d’établir qu’en quatre films, le Mexicain Alejandro González Iñárritu s’est imposé comme un cinéaste de la déconstruction. Depuis le début, usant et abusant du montage parallèle ou en alternance et des récits choraux, n’a-t-il pas essentiellement filmé des chutes libres ? N’a-t-il pas observé, en démiurge plus manipulateur que les autres, et avec la même constance, des mises en pièces d’ego, de psychés, de rêves ?

Pourtant, quelque chose parasitait toujours. Quelque chose comme une attention trop soutenue à la forme, au style qui finissait inévitablement par venir briser les ailes de ces films-grenouilles qui se prenaient pour des bœufs. Birdman, semble, lui, avoir permis de trouver l’équilibre. Un magnifique paradoxe pour ce film qui fait de l’instabilité son grand thème.

Peut-être faut-il voir là la clé de ce succès époustouflant, mais Iñárritu s’est cette fois adjoint les services de trois coscénaristes (Nicolas Giacobone, Alexander Dinelaris, Armando Bo) pour mener la danse de cette visite dans l’univers mental et torturé de Riggan Thomson, un acteur qui connut autrefois la gloire grâce au rôle de Birdman, mais refuse de le reprendre pour adapter, jouer et mettre en scène une nouvelle de Raymond Carver à Broadway, aidé par une troupe de bras cassés, dont des acteurs paumés et sa propre fille, sortant de désintox. Les effets de cette écriture multiple se voient vite. Car, entre les coulisses, la scène et l’extérieur immédiat du véritable et mythique théâtre St-James, c’est une avalanche de dialogues brillantissimes et incisifs qui nous engloutit pour évoquer avec la même force, la même pertinence, l’amertume de vieillir, le temps qui passe, l’indifférence des jeunes générations, l’égocentrisme de ceux qui sont en train de tomber, le pouvoir de la critique, la folie, la noblesse artistique, les mensonges et artifices des secondes chances… le tout porté par un fascinant jeu de miroirs entre la fiction et le réel (oui, Michael Keaton, jouant Riggan, a bien joué un super-héros et eu du mal à retrouver une crédibilité artistique ensuite), mais encore traité, comme cela l’avait déjà été dans le Synecdoche New York de Kaufman ou le Barton Fink des Coen sous l’angle de la folie, du déréglage, osant tous les décrochages, même les plus fantastiques, pour faire de ce théâtre le lieu de tous les déséquilibres.

Multiple, complexe, lettré (on y cite aussi bien Roland Barthes que Mulholland Drive, tout en faisant résonner la finesse ciselée d’un David Mamet, l’intériorité d’un Woody Allen ou la cruauté d’un Polanski), Birdman est encore un grand film fou, malade, nombriliste, dans lequel Iñárritu réussit ce grand autoportrait émouvant de l’artiste en souffrance que Lars Von Trier a toujours raté. Autant de couches et de sous-couches que l’attirail stylistique mis en place ne vient plus empoisonner mais au contraire révéler. Ainsi, c’est la bande-son d’une batterie jazz, physique et prenante, qui vient entièrement incarner, par un dernier et malin tour de passe-passe, cette idée de l’art comme un artifice que Birdman développe. Mais c’est aussi, et surtout, cette mise en scène de maître enchaînant les plans-séquences en donnant l’illusion qu’ils ne sont qu’un par d’habiles raccords célestes, épousant les mouvements constants de ces questionnements existentiels par un déplacement de la caméra à la fois souple et fébrile dans des lieux exigus – et rappelant forcément Altman, l’un des rares à avoir osé adapter Carver au cinéma – qui nous immerge au cœur même de cette fable totale. Bien plus que la 3D qu’utilisent sans vergogne ces films de super-héros que Birdman ne se gêne pas pour remettre à leur place… L’oiseau Iñárritu a enfin ouvert ses ailes.

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