Astérix, le Domaine des dieux

Divin Astérix !

À la suite de quatre années de travail, Astérix, le Domaine des dieux en 3D d’Alexandre Astier et Louis Clichy sort enfin sur grand écran, une production aussi titanesque (plus de 30 millions de budget) qu’une véritable réussite artistique et technique : à l’instar du célèbre village gaulois, l’équipe du film peut d’ores et déjà pousser un joyeux « cocorico ».

Après avoir produit Astérix et les Vikings (2009), M6 Studio cherchait à confier un projet d’animation 3D basé sur un autre album du célèbre tandem Uderzo-Goscinny. Il ne lui faudra pas fureter très loin, tant dans ses propres écuries, le populaire Alexandre Astier (auteur de la série Kaamelott) était un chef de projet assurément idoine et de très bon goût : l’artiste préconise spontanément l’adaptation du Domaine des dieux paru en 1971, un album aussi singulier qu’il est unanimement reconnu comme l’un des chefs-d’œuvre de la série Astérix. Par ailleurs, si Louis Clichy (associé à Astier comme coréalisateur du film) témoigne de la pratique jusqu’au-boutiste des Studios Pixar qui consiste à verrouiller l’étanchéité d’un scénario, admettons que, dès le départ, la drôlerie et la qualité du script original de Goscinny permirent au duo d‘éviter quelques angoisses. En sus, l’expérience technique 3D de Louis Clichy, ex-animateur de Là-haut et Wall-E – soit deux des plus belles réussites du genre – et l’accord d’Uderzo préalablement en poche, parachevaient de positionner l’entreprise de M6 Studio en pole position.

Toute gageure écartée, allions-nous pour autant, au final, assister à un spectacle digne de reliefs, au sens propre comme au figuré ? Abstraction faite des qualités plastiques du film (l’univers d’Uderzo semble se prêter naturellement aux modelés et saillies de la 3D), l’éclat du film se trouve ailleurs : par l’originalité du ton, par l’appréhension du temps et du rythme des séquences, somme toute par la direction d’acteurs, Alexandre Astier tire sans conteste Astérix, le Domaine des dieux vers le haut.

La dévotion, le respect et la fidélité à l’album se traduisent par un petit miracle constituant une sorte de mutation génétique, où Astier et sa bande impriment leur savoureuse marque de fabrique. En bon disciple des fictions radiophoniques auxquelles il a contribué à Radio France, le comédien / réalisateur insiste lui-même sur l’un des particularismes qui fait le charme primordial de son film : la bande-son et les voix des comédiens qui incarnent les différents personnages ont été dirigées et enregistrées en amont du travail des animateurs, chargés de les faire correspondre par la suite avec l’image. Cette méthode est extrêmement rare en France, car les œuvres sont majoritairement étrangères et relèvent ainsi d’un doublage a postériori. En ce sens, Astérix, le Domaine des dieux est novateur et s’affirme fidèle à sa propre devise, un gaulois résistant seul contre l’envahisseur.
Cette manière quasi inédite propose au spectateur un bel équilibre entre les images, le dynamisme du son et les tonalités drolatiques qu’affectionne toujours Astier via des discussions à rallonge, la mauvaise volonté et l’incompréhension des personnages. Il est servi par un casting hors normes : la voix officielle d’Astérix depuis des générations (Roger Carel) est confrontée à celle d’un « nouvel » Obélix (Guillaume Briat, très honorable successeur de Pierre Tornade) ; Lorànt Deutsch (génial Anglaiglus), Géraldine Nakache, Elie Semoun (jamais aussi drôle qu’en Romain râleur), Florence Foresti, Alain Chabat, Alexandre Astier lui-même (en irrésistible officier acculé à la politesse) portent le flambeau d’un naturel et d’un délire permanent.

Ainsi, au travers de cette gauloise touch régénérée, mais aussi par les rajouts çà et là de quelques personnages, et beaucoup par l’amplification de situations propres à l’album d’origine, telles que l’inclination gauchisante désopilante ou l’écologisme débridé – priames particulières aux Romains qui font grève et au Numide insatiable et hilarant – , Astérix, le Domaine des dieux remporte haut la main son pari : il ne reste plus aux spectateurs qu’à lui tresser une couronne de lauriers dans les salles et, à travers ses auteurs, de rendre à César ce qui est à César.