Les ordonnances joyeuses #4

Les musiques de films qui font du bien

En ce temps de confinement, une bonne dose quotidienne de musique est évidemment recommandée. Les notes. Les mélodies. Les instruments. Les voix. Le niveau sonore. L’ambiance. Le vide par le silence et le remplissage par la présence. Le moment de replonger dans les airs, morceaux, tracks, qui balisent nos vies. Dans nos galaxies audio personnelles, il y a les musiques de films, les fameuses B.O. Celles qui accompagnent nos mémoires de cinéphiles. Chacun.e. a son panthéon, ses pépites, sa madeleine de Proust, par périodes ou ad vitam aeternam. De compositions pures en reprises, ou en compilations de titres préexistants. Petit partage d’un « club des cinq » en forme de balade impressionniste. Arrêtez tout et montez le son.

Bullitt (1968) par Lalo Schifrin

 

Dans ce classique réalisé par le Britannique Peter Yates et sorti en 1968, la musique tient une place essentielle. Impossible de dissocier les visages de Steve McQueen, Robert Vaughn et Jackie Bisset, et les rues de San Francisco, des accords jazzy du génial Lalo Schifrin. Le compositeur argentin livre là une œuvre maîtresse de son parcours, semé de tubes, dont les créations au swing et à l’efficacité redoutables pour les séries télé Mission : impossible et Mannix. Ici, un thème principal, et diverses variations, où les cuivres, bois, percussions, guitares et claviers s’éclatent. Un art du dosage entre montée en puissance et accalmie, qui épouse au poil l’intrigue de ce thriller, où personnages et bagnoles montent et descendent les rues de Frisco, avec évidemment la mythique course-poursuite. Parmi les pistes, un sommet à gravir : Ice Pick Mike.

Sonatine (1993) par Joe Hisaishi

 

Le compositeur clé de Hayao Miyazaki et Takeshi Kitano a notamment signé pour ce dernier la musique de ce polar, qui révéla le cinéaste à la France en 1995. La même année, l’Hexagone découvrit aussi Porco Rosso de Miyazaki, également accompagné par Hisaishi. Tous deux sortis au Japon auparavant (1993 et 1992), ils firent connaître ici cet as des compositions, qui avait initié sa collaboration avec Kitano sur A Scene at the Sea (1991). Le thème de Sonatine brille par sa mélodie entêtante, répétitive, fascinante, autant que le film lui-même. Décliné en de multiples versions tout au long du récit, il reste puissant, par sa simplicité, mêlée à l’évocation de la fatalité, et au suspense de cette symphonie novatrice au pays des yakuzas, des tatouages et de la vengeance en bord de mer.

Nénette et Boni (1996) par Tindersticks

 

Première étape de la fructueuse création entre la cinéaste Claire Denis et le groupe britannique Tindersticks. Une approche hautement sensitive, pour une œuvre qui mêle les corps aux matières et fluides, de l’eau à la pâte à pizza, et qui saisit le désir avec une force vitale et érotique, dans LA ville sensorielle de France : Marseille. Les accords de la bande originale caressent et avancent avec sensualité, le long de cette histoire de famille et de fratrie retrouvée. Au milieu des compositions, une perle, Petites gouttes d’eau, reprise du titre Tiny Tears, présent sur l’album studio précédent du groupe. Un morceau lent, planant, lyrique, bouleversant, où la voix de Stuart Staples, timbre à la douceur rocailleuse unique, et les accords étirés et chaloupés, emmènent loin, très loin…

Lost Highway (1997)

 

À film vertigineux signé David Lynch, bande originale idoine. Les vingt-trois pistes créent une ambiance jouissive d’étrangeté. Télescopage de caractères, de David Bowie à Marilyn Manson, de The Smashing Pumpkins à Lou Reed, de Tom Jobim à Nine Inch Nails, réunis autour du producteur de cette aventure musicale, Trent Reznor, et d’Angelo Badalamenti, fidèle complice du cinéaste depuis Blue Velvet. Tous au service de cette œuvre schizophrène, à en perdre raison et sang-froid. Aux manettes également, le musicien britannique Barry Adamson, qui y replace notamment un titre de son album solo précédent Oedipus Schmoedipus (1996) : Something Wicked This Way Comes. Un titre parfait pour le ressenti global. Une musique qui gratte, entête, avance masquée, tel un doux sortilège, ombre avançant le long de cette autoroute perdue…

In the Mood For Love (2000)

 

De cette œuvre au raffinement insensé persiste aussi, vingt ans après sa sortie, le thème principal signé du Japonais Shigeru Umebayashi, en plus des compositions de l’Américain Michael Galasso, ou des standards de Nat King Cole. Encore une reprise, puisque le musicien nippon l’avait créée pour la bande originale du film Yumeji de Seijun Suzuki, sorti neuf ans plus tôt, en 1991. Les accords scandés et offerts par les cordes obsèdent longtemps après le visionnage des images, où Wong Kar-wai suit amoureusement les frôlements de Maggie Cheung et Tony Leung Chiu-wai, dans le Hong-Kong stylisé de 1962. Retrouver la sensation vivace de parcourir les couloirs, escaliers et ruelles qu’arpentent ensemble et séparément Monsieur Chow et Madame Chan. Un pas de deux nostalgique, et débordant d’empêchement et de retenue…