Après la panne d’électricité qui dura cinq heures, la lumière fut sur le palmarès de ce 78e Festival de Cannes. Et c’était beau.
« Ce qui compte, c’est qu’à la fin, c’est toujours le cinéma qui gagne », a déclaré le maître de cérémonie Laurent Lafitte, rattrapant ainsi quelques vannes capillotractées intraduisibles pour le public international. Qui, donc, n’avait pas ri. Et de fait, oui, lors de la remise des prix de ce 78e Festival de Cannes, le cinéma a gagné. Dans mes bras, Juju, Halle, Payal, Alba, Leïla, Dieudo, Hong, Carlos et Jeremy ! Je n’étais pas sûre à cent pour cent, mais finalement, je pouvais compter sur vous !
Oui, avec la Palme d’or à Un simple accident de Jafar Panahi (couronné en début d’après-midi par le Prix de la Citoyenneté), il a gagné, le cinéma politique, engagé, essentiel. Qui n’oublie pas d’être beau (ces cadres au cordeau, ces images inoubliables, ces montées de tension à quatre dans une camionnette) ni drôle, même s’il nous fait rire jaune. Le réalisateur iranien dissident emprisonné, puis assigné à résidence, qui accompagnait pour la première fois en quinze ans une de ses œuvres dans un grand festival international de cinéma, n’a jamais arrêté de tourner cependant. Dans des conditions compliquées, au risque que les rushes soit saisis par la police et que des membres de l’équipe soient arrêtés. Avec le Lion d’or à Venise pour Le Cercle en 2000, l’Ours d’or à Berlin pour Taxi Téhéran en 2015, Panahi palmé d’or à Cannes, réalise donc le grand chelem des trois festivals les plus prestigieux au monde. Sans compter qu’il y a trente ans exactement, il avait reçu la Caméra d’or pour son premier long-métrage, Le Ballon blanc. Est-ce que toutes ces fabuleuses récompenses vont suffire à empêcher qu’il soit de nouveau inquiété par le régime iranien dès son retour au pays ? On l’espère, mais on s’inquiète. Comme, lors de la projection, il a envoyé une pensée à tous ses frères d’armes restés derrière le mur de la prison, il a livré un discours très fort (quoiqu’il semble s’être un peu perdu dans la traduction) se terminant par : « C’est le moment de demander à tous les Iraniens aux opinions diverses de mettre toutes les différences de côté. Le plus important en ce moment, c’est notre pays et la liberté de notre pays. Arrivons à ce moment ensemble où personne ne nous dira quoi porter comme vêtement, quoi dire ou ne pas dire, quoi faire ou ne pas faire. »
Oui, avec le prix de la mise en scène à Kleber Mendonça Filho et celui du meilleur acteur à Wagner Moura pour L’Agent secret (récipiendaire, peu avant, du Prix AFCAE des cinémas d’art et d’essai et du prix FIPRESCI de la critique internationale), il a gagné le grand cinéma intelligent, foisonnant, captivant, digressif, nostalgique et (toujours) politique. Je suis de celles qui pensent que Les Bruits de Recife était le plus beau des premiers longs-métrages sortis en 2012, qu’Aquarius aurait mérité la Palme d’or en 2016 et que Bacurau n’avait pas volé son Prix du jury en 2019. Et que L’Agent secret est un chef-d’œuvre. Elle est pas belle, la vie ?
Récompensant « un film exceptionnel », le prix spécial a été remis par la présidente Juliette Binoche soi-même – étrangement vêtue en bleu-blanc-rouge et visiblement très emballée par le rôle qu’elle a joué ici pendant douze jours, – à Résurrection du jeune prodige chinois, Bi Gan. Ajoutez à cela le prix d’interprétation féminine à la très douée débutante Nadia Melliti pour le très beau troisième long de Hafsia Herzi, La Petite Dernière ; le Prix du jury partagé par Sirât de Oliver Laxe et The Sound of Falling de Mascha Schilinsky. Et le Grand Prix du Jury au très élégant et bouleversant Sentimental Value de Joachim Trier.
Soirée rapide et sans histoire. Au milieu de laquelle John C. Reilly a chanté, La vvvie en wrose. Où Claude Lelouch – dont les images d’Un homme et une femme, recto Jean-Louis Trintignant, verso Anouk Aimée, nous ont accompagnés tout au long de ces douze jours – a fait un beau discours intelligent, mais qui, patatras, s’est terminé par une phrase sibylline : « Le metteur en scène est au cinéma ce que la rampe est à l’escalier ». C’est une image, mais on ne visualise pas bien, là, Claude, tu peux nous la refaire ? Où on a cru que Kleber Mendonça Filho ne reviendrait pas chercher son prix de la mise en scène (dans les deux sens de la formule, car on sait qu’il n’y a, normalement, plus de doubles prix pour un même film), et de fait, a-t-il lâché dans un de ces rares sourires qu’on aimerait voir plus souvent sur son visage mélancolique, il était en train de boire du champagne dans les coulisses ! Où Oliver Laxe a raconté une bien belle anecdote et nous a donné en cadeau ces mots : « On vous a faits de tribus différentes pour que vous vous rapprochiez ».
D’habitude, j’avoue, aucun palmarès ne me convient tout à fait. Certains m’ont rendue chafouine, ça s’est vu, voire très en colère, ça s’est entendu. Et là, moi, je l’aime ce palmarès, il me va, il me ravit, il m’électrise. Il m’a même fait pleurer. Il défend la beauté et l’intelligence, la nouveauté et le cœur. Et tous les cinémas. Et lorsque ces films arriveront dans vos salles, précipitez vous !
Le Palmarès 2025
• Palme d’or du court-métrage
I’m Glad You’re Dead Now de Tawfeek Barhom.
Mention spéciale
Ali de Adnan Al Rajeev
• Caméra d’or
The President’s Cake de Hasan Hadi (Quinzaine des Cinéastes)
Mention spéciale
My Father’s Shadow de Akinola Davies Jr. (Un Certain Regard)
• Prix d’interprétation masculine
Wagner Moura pour L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho
• Prix d’interprétation féminine
Nadia Melliti dans La Petite Dernière de Hafsia Herzi
• Prix du scénario
Jean-Pierre et Luc Dardenne pour Jeunes Mères
• Prix Spécial du Jury
Resurrection de Bi Gan
• Prix du jury ex aequo
Sirat de Oliver Laxe
Sound of Falling de Mascha Schilinski
• Prix de la mise en scène
Kleber Mendonça Filho pour L’Agent secret
• Grand Prix du jury
Valeur sentimentale de Joachim Trier
• Palme d’or
Un simple accident de Jafar Panahi
Par Isabelle Danel