Et si le must du must, à Cannes, était de trouver un restaurant qui retransmet ce soir la finale du concours de l’Eurovision de la chanson ? C’est un débat.
Ça glose, ça suppute et ça prédit des prix dans les files d’attente (surtout aux projections de presse), alors que nous ne sommes même pas à un tiers de la compétition et qu’il reste neuf (tout petits) dodos jusqu’à la Palme. De « geste de cinéma » en « moment clé d’une cinéphilie » en passant par «oui-mais-ça-dit-quoi ? », le sentiment – jusqu’ici -d’une sélection forte en qualité et qui bouscule pas mal est en tout cas partagé. Eddington réalisé par Ari Aster, par exemple. Le nouveau maître de l’horreur avec Hérédité (2018) et Midsommar (2019) retrouve Joaquin Phœnix son acteur de Beau Is Afraid (2023) pour un western situé en 2020 en pleine crise du COVID dans une petite ville du Nouveau- Mexique. Le shérif (qui refuse de porter le masque, car il est asthmatique !) et le maire se détestent ; et bientôt, le premier se présente aux élections pour prendre la place du second. Et après, ça part en cacahuète. Velu. On voit bien l’aspect politique dans cette Amérique profonde : les antivax, les pro-armes, les racistes, les gourous vénéneux, les adeptes des théories du complot et les propagateurs de fake news, mais à tout mélanger dans un gigantesque jeu de massacre, à tirer à vue avec éclat de cervelle et bruit afférent, ne reste qu’un long (deux heures vingt-cinq), très long (cinq heures en ressenti) film vaguement potache et très complaisant. À BANDE À PART, nous sommes partagés.
En bas des marches, ça frémit, ça se pâme, et ça crie. L’équipe de Eddington de Ari Aster a fait forte impression sur le tapis avant de mettre du rouge partout sur l’écran lors de la projection. Il faut dire que la brochette avait de l’allure : Emma Stone, Pedro Pascal, Austin Butler (Elvis). Et Joachin Phoenix, donc, Prix d’interprétation en 2017 pour A Beautiful Day de Lynne Ramsay, réalisatrice anglaise que l’on attend ce soir pour Die My Love avec son casting qui promet d’autres cris : Jennifer Lawrence, Robert Pattinson, Mazette ! Et sur les marches, il y avait aussi Angelina Jolie, Natalie Portman, et Kirsten Stewart. Celle-ci présentait à Un Certain Regard son premier long-métrage comme réalisatrice, The Chronology of Water… Le buzz était fortement entretenu depuis quatre jours, car les places pour cette projection ont disparu en un clin d’œil et cette impossibilité, forcément, a alimenté le désir et la frustration…
Ce week-end cannois sera américain ou ne sera pas. Ils sont venus, ils sont tous là (mais c’est pas la mamma qui va mourir, c’est le festivalier banal et moyen qui essaie juste de se frayer un chemin pour arriver à l’heure en projection). En jet, en train, en cyclopède, en ballon dirigeable, à pied, à cheval ou en voiture et, comme il se doit pour l’équipe de Wes Anderson, qui présente ce dimanche The Phœnician Scheme, en autobus. On attend Benicio Del Toro, Tom Hanks, Michael Cera, Scarlett Johansson… Cette dernière étant en lice à Un Certain Regard avec son premier long, Eleanor The Great mardi 20 mai.
Dans le jury présidé par Juliette Binoche, il y a, aux côtés de Payal Kapadia, la réalisatrice indienne qui remporta le Grand Prix du Jury avec All We Imagine as Light l’an dernier, l’actrice italienne Alba Rohrwacher, l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, le réalisateur mexicain Carlos Reygadas, le réalisateur coréen Hong Sangsoo, le producteur et réalisateur congolais Dieudo Amadi, deux Américains : la comédienne, Halle Berry et le comédien, Jeremy Strong. Ce dernier, outre qu’il est Kendall Roy dans la série Succession, incarna l’an dernier l’avocat Roy Con qui créa le monstre Donald Trump avant d’être mis sur la touche par sa créature dans The Apprentice de Ali Abbasi. Sa présence dans le jury et en haut des marches résonne en écho comme un reproche vivant contre l’homme qui veut (entre autres) faire de Gaza une nouvelle Riviera, éteindre la recherche scientifique, taxer le cinéma étranger à 100 %…
Après la sublime découverte de son premier long-métrage comme réalisatrice, Tu mérites un amour, à la Semaine de la Critique en 2019 ; puis de Bonne Mère, sélectionné à Un Certain Regard deux ans plus tard, Hafsia Herzi, comédienne (entre autres chez Abdellatif Kechiche, qui la révéla dans La Graine et le Mulet), a présenté hier en compétition son troisième long La Petite Dernière, adapté du roman éponyme de Fatima Daas. Parcours de vie d’une jeune femme arabe et musulmane pratiquante qui se découvre une attirance pour les femmes et fait son apprentissage. Tendu, tenu, et émouvant, le film est accroché au visage fermé et si parlant de la débutante Nadia Melliti. Mise en scène peut-être plus sage, moins personnelle, mais empreinte d’une beauté sourde, faisant à bas bruit battre le cœur de ce beau et difficile sujet. Les révélations de comédiennes et comédiens nous happent dans ce festival et on voudrait les citer tous. Comme c’est impossible, choisissons Manon Clavel, yeux perçants, airs de madone ironique et voix grave et profonde qui nous envoûte dans Kika, deuxième film de fiction de Alexe Poukine présenté à la Semaine de la Critique. Car ce qui fait le sel du Festival loin des stars et des événements clinquants, c’est ce petit moment perso à chaque festivalier lorsqu’il rencontre pour la première fois sur un écran un ou une cinéaste, une actrice ou un acteur. Soudain, un pacte se lie, c’est pour toujours ou au moins pour longtemps. On sait qu’on sera au prochain rendez-vous.
Et puisque je vous parle de rendez-vous, sachez que c’est relâche demain dimanche pour cette chronique. À lundi !