Festival de Cannes 2025 #J2 - Mercredi 14 mai

La somme de nos choix

Breaking news : Plus de longues traînes aux robes de ces dames sur le tapis rouge : ça ralentit le flux de la montée des marches.

« Elle est née à Cannes. Sa délicatesse va manquer. J’aimerais dédier cette soirée d’ouverture à Émilie Dequenne », a lancé le maître de cérémonie de cette 78e édition, Laurent Lafitte. Et, de fait, l’actrice (décédée le 16 mars dernier) fit son apparition sur l’écran géant de l’auditorium Lumière dans Rosetta en 1999. Ces yeux sombres et cette moue de défi, cette façon unique de s’agripper aux sacs de farine comme aux gens qui veulent l’empêcher de travailler, cette force en marche nous ont marqués à vie. Elle avait 17 ans, elle a reçu le prix d’interprétation et Jean-Pierre et Luc Dardenne, la Palme d’or.

Après cet hommage, la cérémonie resta grave. Pas plombée, pas policée, comme disent déjà les pisse-vinaigre. Politique et tenue. Discours de Laurent Lafitte sur les actrices et acteurs qui osent prendre la parole, en commençant par Jean Gabin, puis Isabelle Adjani, Taraneh Alidosti et enfin Adèle Haenel et Volodymyr Zelinski, qui fut « acteur avant de devenir chef de guerre ». Ces deux derniers noms déclenchèrent des applaudissements nourris dans la salle. Prise de parole de la présidente du jury Juliette Binoche citant « les otages du 7 octobre et tous les otages, les prisonniers, les noyés, qui endurent la terreur et meurent dans un terrible sentiment d’abandon », rappelant « les démons de nos barbaries (qui) ne nous laissent aucun répit : guerre, misère, dérèglement climatique, misogynie primaire… ». Et puis, elle a évoqué la photojournaliste Fatima Hassouna, âgée de 25 ans, morte à Gaza le 16 avril dernier avec dix membres de sa famille lorsqu’un missile israélien a frappé sa maison. Il y a, à Cannes, un film sélectionné à l’ACID (Association du Cinéma Français Indépendant pour sa Diffusion), Put Your Soul on Your Hand And Walk, signé par la réalisatrice irano-française Sepideh Farsi et consacré à son travail de reporter de guerre, via des conversations filmées au téléphone portable et autres.  Le 15 avril, soit un jour avant sa mort, la jeune femme avait appris la nouvelle de la sélection du film. La réalisatrice le présentera ce jeudi soir dans un montage remanié et augmenté par elle dès cette annonce.

Et puis, il y eut Robert De Niro et son aura de monstre sacré, son air bougon et son engagement. Plus de deux minutes de standing ovation pour celui qui recevait une Palme d’or d’honneur des mains de Leonardo Di Caprio. Et, après avoir évoqué son amour pour le Festival de Cannes dans un discours impeccable, il est passé à l’implacable. « Dans mon pays, nous luttons d’arrache-pied pour défendre la démocratie, que nous considérions comme acquise. Cela concerne tout le monde, parce que les arts sont, par essence, démocratiques. L’art est inclusif, il réunit les gens. L’art est une quête de la liberté, il inclut la diversité. C’est pourquoi nous sommes une menace pour les autocrates et les fascistes de ce monde. Le président philistin américain a coupé les fonds des sciences humaines, de la formation et de la recherche et il vient d’annoncer 100% de droits de douane sur les films produits hors des États-Unis. Méditons ce moment : la créativité n’a pas de prix. (…) Et ce n’est pas seulement un problème américain, c’est un problème de portée globale. Nous devons agir, tout de suite. Sans violence, mais avec passion et détermination. Le temps est venu. Tout un chacun qui tient à la liberté doit s’organiser, protester et voter lorsqu’il y a des élections. (…) Ce soir et dans les onze jours à venir, nous allons montrer notre engagement en rendant hommage aux arts, ainsi qu’à la liberté, à l’égalité et à la fraternité. »

Wow, Bob ! Tu as apporté ton paratonnerre ? On imagine Donald tempêtant la mèche en vrille  devant son écran et criant à l’acteur de Taxi Driver, du Parrain 2, de Voyage au bout de l’enfer et de Killers of the Flower Moon : « You’re fired ! ». C’est après ça que Quentin Tarantino a hurlé que le Festival était ouvert avant de lâcher le micro, qui est tombé sur scène avec un POC sonore, et de repartir dans les coulisses.

Bon, d’accord, c’était intense. N’oubliez pas que pour le glamour et la légèreté, juste avant, pendant une heure, les stars, les mannequins et les On-sait-pas-c’est-qui (Véridique ! Entendu in situ.) en smokings élégants et robes extravagantes ont arpenté le tapis rouge. Et il y en avait presque plus que de badauds agglutinés autour. C’est dire. N’oubliez pas non plus que, juste après ça, les chants, les danses, les douceurs et les rires de Partir un jour d’Amélie Bonnin ont envahi l’écran. Et à tous ceux qui disent que ce n’est pas la place des acteurs de prendre ainsi position, nous répondons que si. Avec autant d’intelligence et de profondeur, oui. « Ils ne prêchent que les convaincus », ajoutent les mêmes. Peut-être. Mais on ne sait jamais : « sur un malentendu », comme disait le regretté Michel Blanc dans Les Bronzés, ça pourrait aider !

La compétition démarre cet après-midi même. Ce soir, toute les portes des sections parallèles seront ouvertes et tous les espoirs seront permis. La Semaine de la Critique présente L’Intérêt d’Adam, deuxième film de la Belge Laura Wandel  (Un monde, Prix FIPRESCI Un Certain Regard en 2021), tandis que la Quinzaine des Cinéastes présente Enzo de Robin Campillo et Laurent Cantet (Palme d’or 2008 pour Entre les murs). Deux très beaux choix, âpres et intense, sur lesquels nous reviendrons.

Et sinon, pour la communication globale, ce qui va se voir sur vos écrans et dans vos journaux ce mercredi ne sera qu’effervescence, liesse et gardes du corps : y a Tom !

Cruise, Tom Cruise. En Ethan Hunt, lui-même en mode James Bond pour Mission impossible : The Final Reckoning soit le 8e volet de la saga DoumDoumDoum DoumDoumDoum DoumDoum à la musique reconnaissable (remaniée, mais toujours fidèle à l’originale signée John Barry) et inspirée de la série télévisée des années 1960-70. « Nos vies sont la somme de nos choix » , annoncent les affiches du film signé Christopher McQuarrie. Oui, sans aucun doute. Mais alors, les plannings des journalistes à Cannes aussi. (Et un petit peu la somme des choix pléthoriques du délégué général du Festival, Thierry Frémaux) et si on veut couvrir la compétition et les sections parallèles, si on veut manger et dormir (je sais, ça fait revendication catégorielle), eh ben, on attendra d’aller voir sur grand écran un peu après sa sortie le 21 mai, ce mastodonte de 2 h 49  qui s’annonce très divertissant, mais bon, sommes-nous là pour rigoler ? Pas sûr.