Cannes 2025 #J12 - Samedi 24 mai

Les premiers seront-ils les derniers ?

Le saviez-vous ? Les équipes des films en compétition sont tenues de rester durant la projection au fameux rang i de l’auditorium Louis Lumière. Question : quelle actrice est montée cette année avec une robe blanche et redescendue avec une robe noire ? Et surtout, comment a-t-elle fait ?

Décidément, je ne m’y connais pas en « marques de chien ». Il faut savoir reconnaître ses manques. La Palme Dog a été décernée ce vendredi et le récipiendaire, Panda (oui, je sais, ça complique, mais c’est un chien, suivez un peu s’il vous plaît) dans L’Amour qui nous reste de Hlynur Palmason serait un berger islandais… comme le réalisateur qui l’a dirigé, et qui n’est autre que son papa dans la vie. Parlez-moi de népotisme ! Entre Suzanne Lindon à l’affiche de La Venue de l’avenir, Paul et Samuel Kircher (fils de Irène Jacob et Jérôme Kircher chacun dans deux films), Mia Threapleton (fille de Kate Winslet et Jim Threapleton) dans The Phoenician Scheme, et plein d’autres, est donc venu se nicher le chien de la propre famille du réalisateur. C’est wouf !, comme disent les jeunes (chiots ?).

Pour la dixième fois, les frères Dardenne sont en compétition au Festival de Cannes. Encore ? Oui, encore. Cela risque-t-il de jouer contre eux côté journalistes, spectateurs, voire jury ? Peut-être. Sûrement, même. Et ce serait injuste, car Jeunes Mères est un grand film, dans le droit fil de leur manière et de leur matière, mais différent. Car il observe avec tendresse et minutie non pas un personnage, mais cinq très jeunes filles en train de devenir mères. À leur corps défendant, parfois, à leur cœur défendant aussi. Tout ce qu’elles doivent accepter, comprendre, résoudre se fait au rythme de leurs pas dans cette banlieue liégeoise où rien n’est simple. On aime certains cinéastes parce qu’ils creusent le même sillon, inlassablement, redéployant leur forme pour mieux cerner leur sujet dans la veine des précédents. Personnellement, j’ai une passion pour ces entêtés (Robert Guédiguian, Ken Loach, Jean-Pierre et Luc Dardenne, donc), qui toujours reviennent placer leur caméra au même endroit, regardent les mêmes gens, défendent les mêmes valeurs. Certains s’en lassent ou estiment qu’ils s’épuisent ; d’autres, dont je suis, considèrent que leur voix, leurs images et leurs opinions sont précieuses et nécessaires au cinéma. Les délicieuses et frêles actrices ont foulé le tapis rouge ce vendredi ; une première fois émouvante pour Samia Hilmi, Janaina Halloy Fokan, Lucie Laruelle, Elsa Houben et Babette Verbeek. Ne serait-ce que pour ce moment, ça valait le coup que Jeunes Mères soit en lice.

Les frères Dardenne ont remporté plusieurs prix au Festival de Cannes, dont deux Palmes d’or, pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005. Ça leur fait un point commun  avec Francis Ford Coppola, Shohei Imamura, Emir Kusturica, Bille August, Michael Haneke, Ken Loach et Rüben Östlund. Pourtant, on jurerait qu’avec certains, ils n’en ont vraiment aucun (au hasard, ça commence par Rüben et ça finit par Östlund). Le cinéma est grand, multiple et inépuisable.

Cannes 2025 #J12 : samedi 24 mai. Copyright Laurent Koffel.

Je n’en dirais pas autant de nous… L’ultime film présenté hier en compétition, The Mastermind de Kelly Reichardt, risque d’être plus malmené qu’il ne le mérite, la fatigue aidant ou, justement, n’aidant pas. Et là encore, c’est dommage. Car la réalisatrice américaine de Old Joy, Wendy et Lucy et First Cow, nous offre un film de casse pas comme les autres et très plaisant. Au rythme d’une B.O. jazzy, un jeune homme, issu de la bourgeoisie (son père est juge), marié, père de famille et menuisier sans travail, se lance dans un casse audacieux. Nous sommes en 1970 dans une petite ville du Massachusetts, et il décide avec quelques comparses de dérober dans le musée local des tableaux du peintre moderniste Arthur Dove. Dès le début, ça part en sucette et notre antihéros, J.B. Mooney, est bientôt recherché. Il s’ensuit une fuite lente à travers l’Amérique. en pleine guerre du Viet Nam, dans des rues où des manifestants brandissent des pancartes et des sigles pacifistes, tandis que notre homme sans qualité, qui a mis en danger sa famille, passe à côté de tout. Dans des couleurs et des décors encore très années 1950, le film hypnotise par son nihilisme, et trouble par tous les échos d’aujourd’hui qui se cognent aux parois du cadre. C’est la radio et la télévision, une affiche au doigt pointé sur nous « I Want You in The Army », c’est une époque foisonnante, souvent exaltée au cinéma, et qui ici sonne comme la fin d’un monde. Peut-être le repli sur soi, la volonté de ne pas subir, l’impossibilité de partager, sont-ils nés à ce moment-là pour en arriver où nous en sommes ? C’est doux-amer, pas forcément très agréable, mais bien plus profond qu’il n’y paraît. Et Josh O’Connor (enfin présent à Cannes après avoir raté, en raison d’un tournage, la montée des marches de The History of Sound) compose un personnage détestable au bon sourire qu’on n’arrive pas à détester.

En attendant le palmarès officiel ce soir (et demain dans ces pages), c’est parti pour les prix. La Queer Palm, qui récompense un long- métrage LGBT+ toutes sections confondues, fête ses quinze ans et son jury, présidé par Christophe Honoré (Les Chansons d’amour, Le Lycéen, Marcello mio) et composé de Marcelo Caetano, Faridah Gbadamosi, Léonie Pernet et Time Zoppe, a également vu quinze films. Parfois, la vie est bien fête… euh, faite. Et ils ont récompensé La Petite Dernière de Hafzia Herzi, présenté en compétition. Liesse ! À suivre, tout en sachant qu’à l’heure où j’écris ces lignes, la ville de Cannes est plongée depuis dix heures du matin dans un black-out total. Au Palais, les groupes électrogènes ont pris le relais. Ambiance étrange. Et si ça dure, on fait comment ?