Lettre à George Miller

Président du jury du 69ème Festival de Cannes

Dear Docteur Miller, Mister George,

Vous auriez pu être clown. Au temps du burlesque, du muet, du slapstick excentrique des origines, glissades et chutes. Sur les photos, presque toujours les mêmes, avec vos cheveux ondulants à la Chaplin, vos besicles à la Harold Lloyd parant votre œil qui frise, vos nœuds pap’ à petits pois, votre visage rit. Monte là-dessus ! : on vous aurait bien vu suspendu à l’horloge du film de Fred C. Newmeyer et Sam Taylor. Vous avez l’air d’un acteur d’avant le cinéma parlant.  C’est votre cinéma, le muet, vous vous souvenez toujours de son pur langage filmique, une suite d’images en temps réel et leur mouvement, action et poursuites. Vous l’avez dit : Mad Max, en 1979, voulait retrouver ça, mêler Buster Keaton et les premiers westerns…  Max est un taiseux. Max est une présence, Max est un animal héroïque. Mel Gibson ou Tom Hardy, le personnage a cette force folle de la vérité de la performance. Max est d’abord un corps, un regard dément, dans la violence et le chaos. Il ne parle guère. Tout est action et mouvement, comme dans le muet toujours : il y a 2700 plans dans Mad Max : Fury Road. Vous dites : « Chaque geste, chaque parole doit être d’une cohérence absolue ».

Ce n’est pas la seule exigence de votre style maniaque : tout ce qui entre dans le champ de votre caméra fait signe et sens. Le détail signale votre intransigeance totale sur le plan esthétique. Le détail est tout. Il remplit de cohérence le récit, pour qu’il tienne sans apparaître comme le mille-feuille d’une suite de scènes d’action cumulatives. Le récit est essentiel. Les histoires remontent à l’enfance, quand vous grandissiez dans une petite ville rurale du Queensland australien (400 habitants à Chinchilla), sans télé, juste les séances de cinéma du samedi pour inspirer vos mondes imaginaires. Même quand vous étiez à la fac de médecine, vous aviez des histoires dans la tête. Vous les avez racontées en peinture, en dessin, vous étiez accro à la BD, et puis le cinéma est entré dans votre vie, par hasard, Docteur Miller. En 1971, un court-métrage manifeste et guerrier, étrange et surréaliste, a changé le langage de vos histoires, Mister George. Violence in the Cinema, Part 1, huit ans avant la folle équipée de Mad Max, sa part d’ombre et de sauvagerie, sa dimension punk, son métal hurlant, ses véhicules d’apocalypse. Le cinématographe serait désormais le langage supérieur de vos histoires, leur écriture précise et leur sens profond, toute une mythologie classique à l’arrière-plan. Des Mad Max, des Sorcières d’Eastwick, des Babe, des Happy Feet, on relève toujours l’éclectisme de vos genres. Mais c’est le storytelling qui importe au conteur trop rare – neuf longs-métrages – que vous êtes. Et l’image, sa chorégraphie et son rythme. Même quand vous avez fait danser les pingouins animés, avec la motion capture, le cinéma muet vous tenait par la main et le burlesque était partout. Le cinéma et sa danse. Le cinéma et son mouvement constant.