L’école des possibles

Focus sur l’école de cinéma publique - La CinéFabrique à Lyon

Créée en septembre 2015, à l’initiative du cinéaste Claude Mouriéras, l’école de cinéma publique La CinéFabrique offre, à Lyon, une alternative aux enseignements dispensés à La Femis ou L’École Louis-Lumière à Paris. Dans cette école ouverte sur la diversité, où l’on peut entrer sans le bac, de grands noms du cinéma viennent prodiguer leurs conseils et tout est mis en œuvre pour favoriser l’esprit d’équipe, la confiance en soi et l’audace.

Au 46 rue du Professeur Rochaix, à quelques encablures de l’Institut Lumière à Lyon, La CinéFabrique abrite ses étudiants en cinéma, âgés de 18 à 25 ans. Dans le bureau des élèves, des photos d’ateliers dirigés par les frères Dardenne ou Laurent Cantet depuis l’ouverture de l’école en 2015 décorent des murs joyeux, tandis qu’une affichette incite à la chasse au directeur, Claude Mouriéras, envisagé pour la boutade en Pokémon de haut vol.

De ce réalisateur, à l’origine de cet ambitieux projet pédagogique, on se souvient des très sensibles Dis-moi que je rêve et Tout va bien, on s’en va avec Michel Piccoli, Miou-Miou et Sandrine Kiberlain. Mais aussi de ses documentaires-portraits de femmes, Le Prêt, la Poule et l’Œuf ou Kady, la belle vie. Une filmographie éclectique et tournée vers l’ailleurs qui fait écho à cette école de la diversité.

magazine de cinéma - La CinéFabrique à Lyon - L’école de cinéma publique

À l’origine


Car la genèse de La CinéFabrique n’est pas sans lien avec le collectif de cinéastes et de techniciens « Tribudom », né en 2002, qui a permis à des habitants de quartiers populaires de Paris – jeunes, collectif de femmes, sans papiers – de réaliser des courts- métrages. Douze années durant, Claude Mouriéras s’est investi dans ce projet. « Dans ces quartiers, il y avait des jeunes qui n’avaient pas les moyens de se payer des écoles privées de cinéma pour acquérir des bases techniques et théoriques, ni la formation académique pour leur permettre de réussir les concours d’entrée aux grandes écoles publiques et gratuites comme il y en a à Paris. », explique-t-il.
« L’autre source de volonté de créer La CinéFabrique est que j’ai été vice-président de l’Avance sur recettes pour le court-métrage, et l’on se plaignait souvent de recevoir des projets trop formatés, très parisiens. Nous étions dans « l’entre-soi ». Est donc née l’idée de créer une école de cinéma gratuite, ouverte sur la mixité sociale et la diversité – de publics, d’origines, de formations et d’âges. Il s’agissait d’inventer une autre manière de transmettre un savoir, et de s’installer en région pour ne pas ouvrir une nouvelle école parisienne. »

 


Lyon


Lyonnais d’origine, Claude Mouriéras fait un constat : « Il y a dans la région lyonnaise, et en Ardèche non loin, un tissus professionnel fort, avec le pôle Pixel, un pôle d’activités regroupant des entreprises de l’image, du son et des industries créatives, des studios de tournage, le festival Lumière, l’Institut Lumière, des professionnels de l’animation, du documentaire, le festival de Lussas, etc. Soit un territoire fort, mais où il n’y avait pas d’offre de formation cinématographique publique. »
Claude Mouriéras et son équipe rassemblent, dès lors, fonds publics et privés : la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le Centre National de la Cinématographie et le ministère de la Culture, mais aussi la SCAM, la SACD, la Fondation de France et la banque Neuflize OBC, sont à l’origine du financement de l’école, qui signe une convention avec l’Université Lyon-2 pour permettre aux élèves de sortir avec une licence à l’issue des trois ans d’enseignement.

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Le cursus


Chaque promotion compte 30 élèves, sélectionnés sur concours, et répartis dans 5 départements : scénario, production, image, son et montage. Exit le département réalisation, « car il est très compliqué de détecter si un jeune de 20 ans va être un jour cinéaste. En outre, je trouve que le métier de réalisateur appelle une multitude de compétences : de l’écriture du scénario aux modalités de production, en passant par la direction d’acteurs, le fait de dialoguer avec des techniciens… Et puis quand il y a un département réalisation, cela fait peser sur ces élèves une lourde responsabilité », commente Claude Mouriéras.
Il s’agira, pour les élèves de première année, d’explorer différents secteurs, à commencer par le son : « C’est le premier volet de la première année. Les élèves sont amenés à inventer une narration sonore. L’enjeu est de leur faire prendre conscience de la force très sensuelle du son. »
La deuxième année est une année de spécialisation, tandis que la troisième se réalise en alternance, en entreprise, sur les plateaux de tournage, dans les salles de montage ou de mixage. À Paris, mais aussi en région Rhône-Alpes où se tournent une vingtaine de longs-métrages par an, ainsi que dans la région PACA.
Tous les enseignements sont portés par des intervenants extérieurs, tous chefs de poste dotés d’une carrière faites de longs-métrages, fictions ou documentaires, ou séries, tournés en France ou à l’étranger, afin de rendre compte de la diversité du cinéma aujourd’hui – l’ingénieur du son Jean-Pierre Duret ou la chef-opératrice Céline Bozon figurent au rang des nombreux intervenants. Parmi les cinéastes de renom venus encadrer des ateliers figurent les Frères Dardenne, Laurent Cantet, Emmanuel Finkiel, Marion Vernoux, Cédric Kahn ou Karim Dridi. Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako est, quant à lui, président de La CinéFabrique.

Tournage : Atropine ©Marion_Bornaz

Le concours


C’est une ritournelle dans son discours : pour Claude Mouriéras, La CinéFabrique est l’école de la diversité. Tout est ainsi mis en œuvre pour élargir le spectre des origines sociales des élèves. Le concours peut ainsi être présenté sans l’obtention du bac et tout est fait pour éviter les frais de déplacement.
Ainsi, le premier tour du concours s’effectue en ligne. 250 candidats sont sélectionnés. Puis un deuxième tour est organisé à Paris ou à Lyon : c’est une journée de pratique selon les départements. Les élèves sont amenés à réaliser un court-métrage par groupes de dix. « Nous jugeons beaucoup de cette capacité à travailler ensemble, à inventer, à écouter, à se répondre », précise Claude Mouriéras. 45 candidats sont ainsi retenus et passent un oral final dont ressortent 30 élèves. En 2015, lors de l’ouverture de l’école, 400 candidats se sont présentés. Ils furent 1000 en 2016.
« J’insiste sur le fait que l’examen d’entrée ne doit pas être discriminant à l’écrit, de sorte que certaines personnalités assez fortes et intuitives, mais qui n’ont pas forcément les compétences académiques requises puissent aussi rentrer à l’école. Parce que le cinéma, comme tout art, a besoin de profils différents, d’une personne qui a fait un master en musicologie, comme quelqu’un qui n’a pas le bac ou qui a fait un CAP d’élevage canin, comme c’est le cas chez nous. Il y a une vraie richesse dans ces promotions riches de diversité. En outre, les différences d’âge et de maturité peuvent nourrir des collaborations. »

 


Travail d’équipe et confiance en soi


« Ici, explique Claude Mouriéras, on met beaucoup en avant le « faire ensemble ». Lors de la première année, nous exhortons les élèves à oser, oser prendre la responsabilité de s’aventurer vers des solutions pas forcément académiques pour inventer une nouvelle pratique ou des formes d’écriture différentes. Il est très important de créer un contexte pour donner confiance à ces jeunes, afin qu’ils se sentent portés et épaulés par l’équipe pédagogique, mais aussi par le groupe lui-même. La bienveillance mutuelle entre les élèves est très importante. On ne peut faire un film fort qu’ensemble, dans un échange constant au service du projet. Cette confiance, cette audace, c’est ensemble qu’ils la trouvent. »
Ainsi, trois fois dans l’année, les élèves ont-ils la possibilité de réaliser des courts-métrages ensemble, d’expérimenter des propositions, sachant que leurs films de première année ne seront pas montrés en dehors de l’école. « Tout est ici fait pour pousser les élèves à oser un point de vue, un parti pris artistique personnel ».
Claude Mouriéras précise : « 60% de la réussite d’une école vient de la sélection des candidats. Le casting est essentiel. Je compte beaucoup sur la diversité des origines des élèves pour parvenir à l’originalité des propositions. Notre école compte 50% de boursiers, et des élèves d’origines diverses – nous avons une jeune Syrienne, un Italien, un apatride. J’espère que ça fera des cinéastes qui parleront différemment. »

 


L’importance du documentaire


Dès la première année, les élèves de La CinéFabrique sont exhortés à réaliser un documentaire. Chacun pitche une idée à des documentaristes. 15 sont retenus et ces 15 auteurs sont chargés de tourner leur documentaire au sein de l’école. Claude Mouriéras s’explique : « Je trouve que le documentaire est constitutif d’un geste cinématographique. C’est aussi mon expérience personnelle. J’ai réalisé à la fois des documentaires et des fictions, et c’est une respiration : il faut aller se nourrir du monde et en même temps raconter des histoires personnelles qui doivent trouver un écho avec le monde. Je pense que cette attention, que ce soit par la fiction ou le documentaire, est quelque chose d’essentiel. »

Tournage : La Fille au pantin ©Marion_Bornaz

Passerelles


C’est en toute logique que La CinéFabrique a mis en place des passerelles vers des écoles de cinéma publiques à l’étranger. Ainsi les élèves sont-ils amenés à concevoir des projets de documentaires ou de fiction avec des élèves de l’Université Suny Purchase de New York, de l’Institut Supérieur de l’Image et du Son et Imagine de Ouagadougou au Burkina Faso, avec un collectif de cinéastes et la Blue Nile School d’Addis Abeba en Éthiopie, et avec l’Institut des métiers de l’Audiovisuel de Cotonou au Bénin. Une fois encore, Claude Mouriéras insiste : « Le maître-mot est : ouvrir ! ».

 


Classe d’orientation


C’est aussi ce désir d’ouverture qui a incité Claude Mouriéras et son équipe à ouvrir une classe d’orientation et de préparation « pour permettre à 12 élèves en errance, boursiers et résidant dans la région, de trouver leur voie artistique. Certains représentent le bac ensuite, d’autres sont rentrés dans des écoles nationales supérieures d’art, dont La CinéFabrique, en passant le concours comme tout le monde. » Ce sont des jeunes choisis sur dossier qui sont rassemblés dans une classe rattachée à La CinéFabrique. Pendant un an, ils suivent des cours de français, d’anglais, de théâtre, de musique, afin d’expérimenter et de mieux pouvoir s’orienter par la suite.

Les ateliers de La Cinéfabrique


Ouvrir et ouvrir encore les fenêtres : La CinéFabrique a mis en place des ateliers dans la région lyonnaise, destinés à des jeunes de 15 à 20 ans qui n’ont pas accès aisément à des pratiques artistiques. En écho au collectif « Tribudom », une soixantaine de jeunes écrivent et réalisent ainsi 6 courts-métrages de fiction, encadrés par des jeunes réalisateurs professionnels de la région. Ces films sont ensuite diffusés dans les quartiers, sous la responsabilité de La CinéFabrique.

En outre, afin de sensibiliser les élèves de La CinéFabrique à la notion de citoyenneté  – « et dans la mesure où chaque étudiant coûte 20.000 euros par an à la collectivité », précise Claude Mouriéras -, chaque étudiant est amené à participer à une semaine d’éducation à l’image dans des écoles élémentaires, en réalisant de petits films avec les enfants.

Interrogez Claude Mouriéras sur le plaisir et l’inspiration que lui apporte son école, il vous répondra : « Le plaisir que j’éprouve là est lié au fait d’inventer une manière d’être ensemble. La CinéFabrique est presque autogérée, on est beaucoup dans une dynamique collégiale. Nous décidons, évaluons, cherchons à nous améliorer ensemble. Cette école est belle humainement, parce qu’elle est porteuse d’espoirs. L’idée est de dire à ces jeunes : le cinéma, c’est possible. »

www.cinefabrique.fr

L’inscription au concours d’entrée pour la rentrée 2017 est ouverte jusqu’au vendredi 28 avril à midi.