Forever Balasko

La comédienne et réalisatrice était la présidente du jury du dernier Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz. L’occasion de faire plus ample connaissance avec cette légende vivante de la comédie à la française…

Ce soir-là, dans la grande salle des mariages de la mairie de Saint-Jean-de-Luz, on a mis les petits plats dans les grands. Fromages et charcuteries du Pays basque, foie gras, saumon. Les vins sont prêts à être servis, les toasts parfaitement disposés. La soirée de clôture du Festival du Film de la ville vient à peine de débuter et personne n’ose faire le premier pas, se servir en premier. Jusqu’à ce qu’une voix « tintamarrante » vienne briser le silence gêné des assemblés arrivés pile à l’heure, c’est-à-dire trop tôt. « Moi, je n’ai aucune éducation, mais j’ai soif ! ». Sa voix est immédiatement reconnaissable. C’est elle, la star de la soirée, invitée d’honneur du festival. Josiane Balasko reçoit le premier verre, immédiatement suivie d’une foule assoiffée. Il fallait bien une grande dame pour sonner les trois coups du cocktail. Josiane, elle est comme ça.

Présidente du jury du cinquième Festival du Film de Saint-Jean-de-Luz, l’occasion était aussi de rendre un hommage à cette comédienne unique dans le paysage cinématographique français, venue du café-théâtre de « troupe », celle du Splendid, devenue comédienne et réalisatrice plusieurs fois récompensée – dont un César du meilleur scénario original pour Gazon Maudit en 1996 et un César d’honneur en 2000. Car, si elle est surtout connue comme comédienne, Josiane Balasko a également une carrière de réalisatrice, avec huit films à son actif. Une carrière presque née par accident avec un premier film, Sac de nœuds (1985) – qu’elle a d’ailleurs présenté au Festival de Saint-Jean-de-Luz. Au départ, il était hors de question qu’elle réalise ce projet écrit au fil de la plume (et coscénarisé par un certain Jacques Audiard, alors jeune débutant). Mais qui pour réaliser cette version trash avant la lettre de Thelma et Louise, penchant plus vers le cinéma de Bertrand Blier que de celui des Bronzés ou du Père Noël est une ordure ? Plusieurs cinéastes refusent. Après tout, les potes du Splendid sont presque tous passés à la réalisation, il faut bien que ce soit son tour. Josiane Balasko se voit contrainte de tourner le film elle-même, tout en jouant le rôle principal d’une semi-clocharde ronchonne et suicidaire, aux côtés d’Isabelle Huppert (eh oui), et d’un casting tout aussi étonnant où se croisent Jean Carmet, Coluche, Jean-Luc Fromental ou encore Jean-Pierre Coffe. Si, à sa sortie, le film a subi l’ire de la critique – en particulier de Positif, où Emmanuel Carrère signale qu’il a eu « envie de vomir », lorsqu’il a vu ce premier film de Josiane Balasko – il résonne encore aujourd’hui, malgré ses imperfections, sur des questions toujours d’actualité, comme celles des violences conjugales. Les femmes fortes et indépendantes ont toujours été au cœur du cinéma de Balasko réalisatrice. Ironie du sort, quand Gazon maudit triomphe en France, Harvey Weinstein l’approche pour distribuer son film aux États-Unis. Sans apparaître comme une figure de proue des luttes pour les droits des femmes, Josiane Balasko est solidaire du mouvement #MeToo, né après les révélations d’abus sexuels du producteur américain.

Seule Josiane

Dans les couloirs des cinémas, dans les salons des hôtels, un étrange personnage n’est jamais très loin de Josiane Balasko. Ce soir-là, au cocktail de clôture du festival, difficile de ne pas le remarquer. Cheveux longs rassemblés en queue de cheval, bagues et colliers, chemise Harley-Davidson, visage d’Indien d’Amérique, il semble tout droit sorti de Bagdad Café. Et pour cause, c’est lui, George Aguilar, le serveur amérindien du film de Percy Adlon. Il a rencontré Josiane Balasko en 1999 sur le tournage du Fils du Français de Gérard Lauzier. Il se sont mariés en 2003 et ne se quittent plus depuis. Lui, le symbole de l’Amérique éternelle qui fascine les cinéastes européens. Elle, la grande dame de la comédie française. Couple improbable. Couple fantastique. Couple de cinéma. Comédien, il joue dans les films et les pièces de sa femme, dont il est fier – « mais en même temps, si ce n’était pas le cas, je devrais me méfier ! », plaisante Josiane Balasko. Après, il y a certains films de Josiane avec lesquels il a plus de mal – « il y a un certain humour qui n’est pas tout à fait dans sa culture », confesse sa compagne.

Si elle a signé huit films, Josiane Balasko s’est toujours considérée comme « une actrice qui fait des films de temps en temps ». Car elle réalise des films pour jouer des rôles qu’on ne lui propose pas. Comme comédienne, Josiane sait bien qu’elle est à part. « Contrairement à de nombreuses actrices, plus je vieillis, plus je tourne ! », ironise-t-elle, même si elle avoue être contente quand on lui propose un autre rôle que celui d’une mère.

Drôles de rôles

Sa carrière d’actrice, Josiane Balasko l’a faite aussi bien sur scène, au théâtre, qu’au cinéma. « C’est comme choisir entre le cœur et les poumons : c’est impossible », explique-t-elle. « La différence, peut-être, c’est qu’au théâtre, vous ressentez la réaction immédiate du public, alors qu’au cinéma, vous le savez beaucoup plus tard, et vous n’êtes pas dans la salle : on vous dit si le film marche ou pas – mais on est déjà passé à autre chose ». En plus de quarante ans de carrière au cinéma, l’actrice – qui continue à beaucoup tourner – porte un regard un peu mélancolique sur ce septième art. « J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins d’argent pour les films. En dehors du film d’Onteniente [All Inclusive, qui sortira en 2019, ndlr], j’ai l’impression que les films sont de plus en plus fauchés ». Il faut dire que Josiane Balasko n’a pas peur d’accepter des rôles dans de « tout petits » films, à l’image du récent À nos pères, drame en noir et blanc réalisé par le Chinois Franchin Don, dont c’est le premier film et qui n’a pas encore de distributeur, où elle partage l’affiche avec Gérard Darmon. C’est pour un sujet qu’elle a souvent accepté des rôles – c’est comme ça qu’elle s’est retrouvée dans Un beau soleil intérieur de Claire Denis, ou bientôt dans le nouveau film de François Ozon, Grâce à Dieu, sur la pédophilie dans l’Église. « De toute façon, ça n’existe plus le côté ‘’on est une vedette, donc on ne fait que de gros films’’ – aujourd’hui on peut se balader dans des films avec des budgets très différents et de genres très différents ». La comédienne n’a aucun problème à jouer des rôles tragiques, même si, en tant que réalisatrice, elle ne réaliserait jamais autre chose qu’une comédie. Si Josiane Balasko a remporté de nombreux succès, certains de ses films ont été des échecs commerciaux ou critiques. Mais elle ne regrette rien, ne rejette rien dans son imposante filmographie. Même si elle est plus fière de certains films que d’autres. En particulier, Trop belle pour toi de Bertrand Blier, qu’elle considère un peu comme son mentor.

 

Mais aujourd’hui, Josiane Balasko ne va plus au cinéma. Quand on lui demande pourquoi, elle fait sienne la phrase d’Audiard-père, cette fois : « On ne demande pas à un croque-mort d’essayer des cercueils ». Elle rit, de ce rire fort qu’on connaît tous, mais prend son temps et explique plus sérieusement : « Pour moi, une salle de cinéma est une salle d’examen. Si le public ne rit pas, ne réagit pas comme il le faudrait, j’ai peur d’être recalée ». Quarante-cinq ans de carrière. Un nom que tout le monde connaît. Des personnages éternels – Nathalie dans Les Bronzés, Marie-Ange Musquin dans Le Père Noël est une ordure, Marie-Jo dans Gazon maudit – et pourtant toujours ce même stress à chaque première, à chaque nouveau film. Plutôt que les nouveautés, Balasko préfère revoir des classiques : Billy Wilder ou Julien Duvivier. Ou les films de Max Ophüls, Madame de…, et bien sûr ce titre, sonnant comme une philosophie de vie pour la comédienne, Le Plaisir.