Profession : délégué général de festival

Rencontre avec Marc Bonduel, délégué général du Festival de Sarlat

Depuis huit ans, Marc Bonduel est délégué général du Festival de Sarlat, festival de cinéma au cœur du Périgord Noir, qui a célébré cette année sa 27e édition. Sous la houlette du président Pierre-Henri Arnstam, il est à la fois le directeur artistique et le chef d’entreprise du festival. Marc Bonduel revient pour BANDE À PART sur un métier fastidieux mais passionnant.

Comment devient-on délégué général de festival ?

Pour moi, le hasard. J’ai fait tout, ou presque, dans le cinéma. J’ai créé des sociétés, dirigé des groupes importants, de Pathé à la Warner en passant par Bac Films. Il y a quatorze ans, j’ai tout arrêté, et je me suis mis à mon compte, comme indépendant. À ce moment-là, on m’a proposé de relancer le festival de Biarritz Amérique Latine. J’ai hésité, c’était complètement différent de ce que j’avais fait par le passé. Mais je me suis dit que j’allais essayer, pour voir, sur une année. Et je suis tombé amoureux de ce festival. J’y suis resté douze ans. On faisait venir des réalisateurs, mais aussi des écrivains, des musiciens. On a construit un village de 3000 m² face à l’océan, on faisait des bars-tapas, des concerts gratuits, on invitait des artisans…

Qu'est-ce qui vous a particulièrement plu dans ce nouveau métier ?

La transmission. Le fait d’apprendre aux gens, jeunes ou moins jeunes, à aller au cinéma. À Biarritz, la grande salle faisait 1400 places. Pour voir des films latino-américains qui, à l’époque où j’ai commencé, intéressaient peu de monde, c’était beaucoup. Et finalement, les dernières années, la salle était archipleine à chaque séance. C’est ce qu’il m’a toujours fasciné dans ma vie : aller chercher du public là où on m’explique qu’il n’y en a pas.

Comment êtes-vous arrivé à Sarlat ?

À Sarlat, on avait un peu entendu parler de moi, et de mon travail à Biarritz (les deux villes sont en Aquitaine). Et il y a huit ans, ils m’appellent. Le Festival de Sarlat était alors en grande difficulté. L’équipe précédente était partie en laissant le festival dans une situation, disons, délicate. Il n’y avait plus d’argent et rien n’avait été fait pour la saison à venir. On était alors à 4-5 mois du festival. Ils m’ont demandé de filer un coup de main. Je suis tombé amoureux de ce festival. Cette année, j’arrête Biarritz pour me consacrer uniquement à Sarlat.

Que s'est-il passé pour que Sarlat soit autant en difficulté ?

Si vous voulez, dans un événement comme celui-ci, dès le lendemain de la clôture, on fait les rapports, les comptes et les demandes de subventions pour l’année suivante. Comme le Festival de Sarlat est une association de loi 1901, des conseils d’administration sont organisés. À la fin du mois de mars arrive le conseil d’administration qui suit le festival. Durant ce conseil, toute l’équipe qui organisait et gérait le festival démissionne – ce n’était pas une surprise, c’était su, prévu. Mais, de bonne foi, cette équipe se sachant démissionnaire, n’avait fait aucune demande de subvention pour l’année suivante. C’est normal : ce festival, il appartient aux murs, aux enseignants, aux Sarladais. Nous, on est juste de passage et c’est la beauté de la chose. Mais les membres de l’association attendaient que l’équipe fasse ce suivi après la fin de l’édition précédente, dans le cadre de leur contrat qui ne prenait fin qu’en mars. Résultat, rien n’a été fait. Pas de subvention, et donc pas d’argent pour l’édition suivante, qui devait se tenir quelque mois après. Or un festival, c’est six mois pour trouver de l’argent, et six mois pour le dépenser. Et si vous n’avez pas trouvé l’argent au bout des six premiers mois, c’est très difficile…

Comment avez-vous fait pour redresser la barre ?

On s’est réparti les tâches. On a décidé que le président de l’association, Pierre-Henri Arnstam, un ami, s’occuperait de toute la partie institutionnelle. Quant à moi, je m’occuperais de la partie programme, en faisant jouer mon réseau personnel. J’ai alors appelé les copains qui sont dans les boîtes de distribution, en leur demandant ce qu’ils avaient de disponible pour très bientôt, et j’ai fait un choix parmi ce qu’on m’a proposé pour faire une programmation. C’est drôle, les gens se plaignent parfois que telle année est inférieure à la précédente en termes de qualité de films. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est que je fais en fonction de ce qui est disponible maintenant, de ce qu’on me propose ! Du coup, la première année, j’ai pu obtenir la première des avant-premières des Femmes du 6e étage, et la première de Angèle et Tony. J’étais content, mais ça ne suffisait pas à faire un festival. Il fallait maintenant construire. Quand je suis arrivé à Biarritz, j’ai dit qu’on garderait Biarritz et l’Amérique Latine, mais qu’il fallait me laisser changer tout le reste. À Sarlat, c’était pareil : je leur ai dit : « On garde Sarlat et les lycéens, et on change tout le reste ».

Photo Emm Thiercelin
Qu'est-ce que vous avez changé ?

La première chose a été d’ouvrir le festival au public. Avant, le festival était réservé aux lycéens, aux pros et aux partenaires. C’était une autre époque. Aujourd’hui, faire une avant-première d’un gros film Gaumont ou Pathé avec une billetterie non-CNC, des invitations et des billets imprimés à la photocopieuse, ce n’est plus possible. On a alors mis un place un système très simple : nous, on s’occupe du programme, de la grille, et on la confie au cinéma, qui vend des tickets. Donc les recettes des entrées se répartissent comme dans tout cinéma normal, entre exploitant et distributeur. Je trouve ça très sain, parce qu’ainsi je n’ai pas de rapport d’argent avec les distributeurs. On ne cherche pas à remplir les salles pour des raisons économiques.

Pourtant, de nombreux festivals fonctionnent encore avec une billetterie non commerciale...

Bien sûr. À Biarritz, on a toujours vendu nous-mêmes nos tickets. Mais ici, je trouvais ça absurde. Sarlat, c’est une petite ville. Il n’y a qu’un seul cinéma, le Rex, qui est un vrai cinéma familial – l’exploitant actuel est le petit-fils du fondateur. Moi, je n’ai ni envie de me compliquer la vie, ni de me fâcher avec lui. C’est son cinéma – c’est un privé indépendant, pas un cinéma municipal – et il a envie de le faire vivre, au-delà d’une simple location de salle. On gère la programmation, il gère l’exploitation, et tout le monde est content.

Mais, du coup, les tarifs d'entrée sont plus chers que dans d'autres festivals.

C’est sûr. On est un festival où les gens payent vraiment. Moi qui viens de la distribution, quand je vois certains festivals qui annoncent « entrée gratuite dans la limite des places disponibles », ça me titille un peu… Je pense que les distributeurs viennent montrer leurs films dans une petite ville comme Sarlat pour recueillir des informations. Et les informations venant d’un public qui paie sa place sont bien plus intéressantes que celles d’un public venu gratuitement.

Quelles "informations" viennent-ils chercher ?

Le retour. Les réactions du public. Ça leur permet de tester le film. Un public payant a des attentes. Il en veut pour son argent. En plus, ce festival avait quelque chose de particulier que les distributeurs ne trouvent pas ailleurs, un fort public de jeunes, avec les lycéens. Les films passent tous au moins deux fois : une séance uniquement pour les lycéens et une séance ouverte au public. Pour les distributeurs, il y a un moment culte dans ce festival, la rencontre entre les équipes et les lycéens. Il faut comprendre que Sarlat est un festival pour les lycéens ouvert au public, et non un festival ouvert au public qui reçoit des scolaires. On pense vraiment ce festival pour les lycéens option cinéma, qui viennent de toute la France. On en reçoit 600 – c’est le maximum de personnes que peut accueillir la salle du centre culturel. Et avec 600 élèves, on a aussi 72 profs, qui viennent de Dunkerque, de Reims, de Nancy, de Limoges, de Bayonne, mais aussi de la Réunion, de Guadeloupe, et même les élèves du lycée français de Montréal.

Comment accueille-t-on tout ce monde ?

C’est une sacrée logistique. On rouvre tous les gîtes ruraux du coin. On crée une vraie cantine scolaire. 800 couverts midi et soir. Des employés du département font les repas. Aux jeunes, on demande 100 € chacun pour l’ensemble du séjour. Avec l’accès aux salles gratuit, évidemment – et ils voient une quinzaine de films chacun, suivis de rencontres avec les équipes. Et puis à côté de ça, il y a aussi les 200 invités du festival – qui ne mangent pas à la cantine, mais sont plutôt dans la version foie gras, grâce à des restaurateurs partenaires.

Ce festival fait donc vivre l'économie locale...

Oui, d’autant que Sarlat est une ville très touristique jusqu’aux vacances de la Toussaint. Nous, on arrive une semaine après les vacances, donc en période « creuse ».

Pourquoi les lycéens option cinéma viennent-ils voir ce festival en particulier ?

Parce qu’au cœur du festival, on a une formation sur le film du bac de l’année suivante. Pour l’année qui vient, ce sera Les Lumières de la ville de Chaplin. Alors, pendant toute la semaine, on fait une rétrospective autour de ce film, on fait venir l’universitaire de référence sur Chaplin pour animer une conférence. Et puis on fait venir d’immenses professionnels pour leur faire des ateliers pratiques : atelier lumière avec Jean-Claude Larrieu, le chef-op d’Almodovar, scénario avec Guillaume Laurent, le scénariste d’Amélie Poulain, montage avec Hervé Deluz, trois Césars du meilleur montage… Qui viennent tous bénévolement, en copains.

Comment faites-vous pour faire venir ces professionnels bénévolement sur une semaine ?

Premièrement, ce sont des amis. Et puis, c’est l’esprit du festival. Sarlat, c’est le seul festival de cinéma en France sans salariés permanents. J’ai une équipe de contractuels et d’intermittents – en grande partie mon ex-équipe de Biarritz – qu’on prend entre huit jours et un mois, parce que je considère qu’il y a quelques postes sur lesquels on ne peut pas être bénévole, mais c’est tout.

Dans la programmation, vous avez aussi bien de grands films populaires (Star 80 la suite, Belle et Sébastien 3), que des films plus pointus (L'Œil du cyclone, La Caméra de Claire). Comment se passe cette sélection ?

C’est absurde, mais comme Sarlat est pour les distributeurs une sorte de tradition patrimoniale, j’ai un choix immense. Je suis tout seul à faire cette programmation. Alors, comme à Biarritz, j’essaie toujours d’attirer le public avec de grands films spectaculaires, et puis de le faire rester pour lui faire découvrir des films qu’il n’irait pas voir ailleurs. Et puis après, finalement, on les voit faire la queue pour des films argentins, turcs, qui laisseraient habituellement la salle à moitié vide ! Après, de manière générale, je choisis toujours des films qui ont un sujet. C’est à dire des films qui ont matière à débat après la séance. Ainsi, un de mes critères de sélection est aussi la présence nécessaire du réalisateur. Et ça peut être des gros films, comme La Promesse de l’aube – et en plus, le livre est au programme du bac L, donc c’est un sujet en or pour nous – comme des films plus confidentiels, à l’instar de Razzia de Nabil Ayouch. Il n’y a pas de ligne éditoriale, mais avant de choisir un film, je me demande toujours : « Qu’est-ce qu’on va se dire après ? »

Quelles sont qualités, pour vous, d'un bon délégué général de festival ?

Il y en a plusieurs, mais ce qu’on oublie souvent, c’est qu’il faut être militaire. Il faut être très précis et organisé. Toutes mes projections commencent à l’heure exacte. Quand on compare avec le fonctionnement avant que j’arrive, on me dit souvent que c’était « à la bonne franquette ». Oui, mais quand vous travaillez avec Gaumont ou UGC, la bonne franquette, ce n’est pas possible. Il faut avoir au moins une feuille de route, qui détaille l’heure d’arrivée et toutes les activités de la journée – qu’ils sachent dans quoi ils s’embarquent ou où ils vont. Et du coup, ça se passe bien. Il n’y a pas de mauvaise surprise, et donc s’instaure un respect mutuel. Pour avoir fait beaucoup de festivals de l’autre côté, en tant qu’invité distributeur, je sais que c’est important de savoir ce qu’on y fait et quelle est la thématique. Et en tant que délégué général, il faut aussi toujours se rappeler quels sont nos publics, et quel est l’objet particulier de ce festival. Il faut savoir pourquoi on est là, et tout se passe bien.