L'interview azimutée

Rencontre avec Lambert Wilson, comédien

Il a le phrasé, le timbre de voix, la démarche et la silhouette des hommes d’élégance. Sur la scène du Palais des Festivals, il sera, les 14 et 24 mai prochains, le maître de cérémonie parfaitement bilingue du 67ème Festival de Cannes. Tandis qu’il est, depuis le 30 avril, à l’affiche de Barbecue, la comédie d’Eric Lavaine, dans laquelle il incarne un jeune quinqua rescapé d’un infarctus qui envisage sa vie sous un jour nouveau. Voyage en zigzag, du coq à l’âne, le temps d’une rencontre azimutée.

Aimez-vous faire des grimaces ?

Je grimace du matin au soir. Malgré moi. J’ai toujours un rictus quand je me vois en photo, sauf si je pose. Ma grimace permanente est une grimace d’anxiété. Je remarque ça sur les photos volées de moi : j’ai toujours l’air soucieux. Quand j’étais petit, je faisais le clown et on me disait justement de ne pas grimacer. Je crois qu’on a chacun un clown intérieur, un monstre intérieur qu’on n’exprime pas toujours.

Vous êtes comédien…

Je l’exprime, moi, souvent à travers mon métier, mais pas dans tous les rôles et même assez rarement. Ces grimaces sont toujours prêtes à l’emploi chez moi.

Interview azimutée de Lambert Wilson : monstre © Annick Holtz

Que vous inspire la Joconde ?

De l’ennui. Un ennui de contentement. On sent que c’est une femme qui va bien, mais qui n’a pas l’air de penser à grand chose. Mais ce n’est pas elle qui m’intéresse, c’est le paysage à l’arrière-plan. Je voudrais y plonger, je voudrais vivre à cette époque, au début du XVIe siècle, dans ces paysages du nord de l’Italie, je voudrais rencontrer Da Vinci.

Et les maîtres flamands ?

J’ai toujours le désir d’être dans ces paysages-là ou dans les tableaux de Caspar David Friedrich. Il y a des paysages comme ça où je veux pouvoir planer, atterrir et me poser, regarder.

Interview azimutée de Lambert Wilson : paysage

Êtes-vous à l’aise face aux très grands tableaux ?

Certains, oui. Je peux passer beaucoup de temps devant un Rothko et me perdre dans la vibration de la couleur. Passer d’une bande de couleur à l’autre. Devant les Géricault au Louvre, j’ai du mal à me concentrer ou à saisir leur sens. Je suis plus à l’aise face aux grands tableaux abstraits.

Interview azimutée de Lambert Wilson

Fréquentez-vous beaucoup les musées ?

Oui. Je pense que j’aurais préféré être peintre. Si je pouvais refaire ma vie, je me repencherais sur ce moment où j’ai abandonné les arts plastiques pour me consacrer à l’art dramatique. La réalité de mon métier du cinéma m’affaiblit, m’attriste parfois, alors que, quand dans un musée, j’ai l’impression de renaître, notamment quand je respire ce qui se passe entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale, en particulier, entre les années 1914-1935.

Aimez-vous l’acoustique des musées ?

Ça dépend des musées. Certains musées contemporains sont très lisses et leur côté boîte blanche peut me poser problème. Je n’aime pas trop non plus les bonbonnières du type la Tate classique. Je n’aime pas les cadres classiques, énormes. C’est vrai que quand j’étudiais le théâtre en Angleterre, j’habitais à côté du Victoria and Albert Museum et j’allais voir une salle par jour. C’est comme ça que j’ai appris l’histoire des arts décoratifs.

Les musées vous apaisent-ils ?

C’est totalement apaisant, un musée. Et j’aime qu’instinctivement, les visiteurs – sauf les Américains ! – baissent leur voix. Généralement, les gens prennent beaucoup plus conscience du corps des autres et de l’existence de l’autre lorsqu’ils sont face à une grande œuvre.

Interview azimutée de Lambert Wilson

Dessinez-vous vos personnages avant de les incarner ?

J’ai systématiquement besoin d’un modèle, alors j’essaie de trouver un modèle dans la peinture, plutôt que de le dessiner moi-même. Je ne prends pas de papier et de crayon, mais je fais le dessin dans ma tête. Je pense qu’on possède sept grandes familles de personnages et qu’on fait des variations autour d’eux. Si on choisit une famille de personnages, on va changer un costume, un chapeau, une démarche, et on va y puiser.

Interview azimutée de Lambert Wilson : personnage

Quelle est votre famille de personnages ?

J’ai, par exemple, dans ma galerie personnelle, l’homme de foi, qui m’a permis de jouer l’Abbé Pierre dans Hiver 54 ou mon personnage de Des hommes et des dieux. Il y a aussi le bouffon que j’ai joué dans Jet Set et quelques autres.

Un mot pour définir Alain Resnais ?

Surréaliste.

Interview azimutée de Lambert Wilson : nature

Quel animal vous ressemble le plus ?

Le labrador. Je suis un chien, en fait. J’ai un rapport fusionnel avec les chiens. Je connais bien les chevaux aussi, mais ça n’a rien à voir. Avec les chiens, je peux communiquer par le regard, leur parler, le lien est si fort, j’ai l’impression d’être en connexion avec les chiens. Il ne me faut donc surtout pas en avoir, car la connexion est trop forte.

Interview azimutée de Lambert Wilson

Aimez-vous vous promener ?

Oui, beaucoup. J’adore me perdre. C’est pour ça que j’ai besoin des villes européennes, des villes de construction antique, car le principe du « grid » américain, du carré avec les angles réguliers me crée une sorte de dépression que je ressens en Amérique, sauf à New York où l’on retrouve downtown une structure de village. Car j’ai besoin de la surprise du virage qui vous emporte. Ces méandres me font du bien et dans la construction en escargot des villes médiévales, il y a quelque chose qui correspond à la nature profonde de l’être humain.

Vous devez être heureux en Italie…

En Italie, j’adore déboucher sur une place à laquelle je ne m’attendais pas. A Venise, se perdre, la nuit, dans le brouillard, c’est un peu flippant, mais c’est délicieux.

Avez-vous le sens de l’orientation ?

Oui, très fort. J’ai une sensation très spécifique des points cardinaux qui me vient de mes promenades à cheval. Mais je me suis perdu dans Venise. Dans le brouillard, de nuit !

Interview azimutée de Lambert Wilson : orientation, cheval, boussole

Aimez-vous les boussoles ?

Je ne sais pas m’en servir. Je déteste la technologie et la boussole me paraît déjà un objet extrêmement technique. Cela dit, j’aime connaître les directions des choses fondamentales, comme les planètes. Une appli qui me plaît sur mon iPhone, c’est celle qui me permet de trouver les étoiles. Ça, j’adore.

Etes-vous contemplatif ?

Je ne sais pas. Un contemplatif qui ne peut pas rester en place !

Aimez-vous plonger ?

Ma grande phobie, c’est d’être prisonnier sous l’eau. Mon pire cauchemar serait d’être dans un avion qui aurait amerri et qui serait sur une haute plateforme, sur le point de tomber sur les abysses. Je n’ai pas peur de l’avion, mais j’ai toujours un moment d’angoisse quand l’avion survole l’océan et que je prends conscience qu’il lui manque quelques centaines de kilomètres avant d’être en mesure d’atterrir. J’ai peur des profondeurs sous-marines, des monstres marins.

Interview azimutée de Lambert Wilson

Enfant, aviez-vous peur du noir ?

Oui, j’avais peur. Je voyais des loups partout. Mes parents avaient maladroitement aggravé cette peur en me disant que j’étais dodu et que j’allais me faire manger par les loups.

Votre truc pour contrer le trac ?

Travailler. Le trac est une expression profonde de l’angoisse face au savoir. Quand on a fait son boulot, on a une anxiété, une montée d’adrénaline, mais pas ce trac terrorisant. Sarah Bernhardt disait qu’on avait le trac quand on n’avait pas travaillé.

Votre juron préféré ?

Il existe un juron polonais délicieux à prononcer: « kurva », qui veut dire putain dans toutes les langues slaves. Il y a dans ce R roulé, quelque chose de délectable. Il y a aussi « la puta madre », un juron argentin que j’aime bien quand je suis très énervé.

Interview azimutée de Lambert Wilson : kurva, insulte

Ça arrive souvent ?

Tout le temps. Je suis très colérique envers moi-même. Je peste contre mon incapacité à gérer la technologie, par exemple. Je suis d’une maladresse absolue avec les objets et ils me le rendent bien. Ma colère est toujours dirigée contre moi-même.

A choisir, Tintin ou Milou ?

Milou. Parce qu’il est soumis aux tentations plus que tous les autres personnages. Il y a un ange Milou et un diable Milou. Il n’est pas parfait. Il est cohérent, sympathique et humain.