L'homme des hautes plaines

Entretien avec Bogdan Mirică, réalisateur

Dogs, premier film âpre et tendu de Bogdan Mirică, a rencontré un bel accueil lors de sa présentation cannoise. Son réalisateur, très actif, est déjà en train de travailler sur la seconde saison de Umbre, vértable succès d’audience lors de sa diffusion en 2015. Il a néanmoins pris le temps de répondre à nos questions sur les lignes de force de son film.

Dogs, qui est un premier film, et par certains côtés violent, a-t-il été difficile à produire ?

Effectivement, la production n’était pas évidente, et si nous n’avions pas eu l’aide de EZ Films, notre producteur français, je ne sais pas si le film existerait aujourd’hui. Le CNC roumain ne nous a accordé qu’une toute petite somme d’argent (les critères de sélection de leurs jurys restent toujours un mystère pour moi) et pendant un moment, j’ai été totalement découragé. C’est là que Marcela Ursu (la productrice roumaine) et Elie Meirovitz (le producteur français) m’ont dit qu’ils feraient ce film coûte que coûte. Leur détermination m’a redonné confiance dans la viabilité du projet.

D’où vous est venu le sujet ?

Il a toujours été là, car j’ai grandi dans un environnement similaire. Enfant, je passais souvent les vacances chez ma grand-mère, à la campagne. Et j’ai assisté là-bas à plusieurs épisodes de violence totalement arbitraire. Des scènes qui ne semblaient parfois avoir ni raisons ni enjeux. D’une certaine manière, ils étaient un langage, une forme de communication en soi. J’étais plongé dans cette atmosphère, en compagnie de ce type de personnages. Je me souviens de la peur mêlée de fascination que je pouvais avoir à leur contact. Et il y a même peut-être pour moi une forme de nostalgie face à un monde qui a lentement disparu.

Vlad Ivanov est incroyable, aussi calme qu’effrayant. Était-ce votre premier choix pour le rôle de Samir ?

Oui. Il n’y a eu aucun casting pour ce personnage. J’ai dit à ma productrice roumaine que j’aimerais vraiment avoir Samir pour le rôle. Et, sans me le dire, elle lui a fait lire le scénario. Il a aussitôt accepté. Lors de notre première rencontre, j’étais un peu intimidé. Pas du tout parce qu’il est effrayant, comme les personnages de certains de ses films, mais parce qu’il est aussi drôle que généreux. Il est trop beau pour être vrai. Avant de tourner, nous nous sommes retrouvés et nous avons pas mal échangé. Avec un acteur du niveau de Vlad, vous avez intérêt à avoir une vision précise de ce que vous voulez obtenir. Je lui ai donc parlé de l’atmosphère du film, de son rythme, et Samir est une extension de ce rythme : il a une couleur propre à lui. Vlad a exactement compris tout ça et a tiré le personnage vers le haut. Je me souviens qu’une fois, à la fin d’une prise, l’ingénieur du son français, qui ne parle pas un mot de roumain, est venu me dire : « Je n’ai aucune idée de ce que Vlad vient de dire, mais il m’a filé une sacrée trouille ».

Le rythme du film, le Cinémascope et les paysages rappellent certains classiques du western : le genre vous a-t-il influencé, a-t-il été une source d’inspiration ?

Je ne sais pas si je suis ce qu’on appelle un cinéphile. Je regarde beaucoup de films et de séries télévisées, parfois je peux revoir plusieurs fois un film que j’affectionne particulièrement, mais je passe aussi par des périodes où je ne regarde pas de films du tout. Je préfère de loin faire des films que les regarder. Et je n’aime pas trop les citations cinéphiles, même sous forme d’hommage. J’ai conscience que mon film peut ressembler à certains westerns, mais j’avais une préoccupation principale lors de la conception du film : comment vais-je représenter le temps à l’écran ? Comment-vais-je faire s’exprimer mes personnages ? Ils ne parlent pas à un rythme naturel et je voulais que les silences qui se faisaient entre certaines phrases paraissent crédibles. Cela dit, il y a bien une notion que j’ai empruntée aux classiques du western, celle de la nostalgie. C’est un sentiment qu’on percevait à la vision de ces films en repensant à la façon dont ces hommes blancs « civilisés » ont souillé le monde des Amérindiens. J’y vois un parallèle avec la façon dont la modernité a gâché les beaux paysages de la campagne roumaine. Et d’un point de vue plus intime, il y a tout simplement la nostalgie que j’éprouve en repensant à la manière dont j’ai perçu ces films quand j’étais enfant. Je voulais ajouter cette dimension légendaire au film.

Aviez-vous la volonté de dénoncer les dysfonctionnements de la Roumanie d’aujourd’hui ?

Non, je pense que les politiciens et les systèmes qu’ils mettent en place occupent déjà bien trop d’espace public et je ne voulais pas consacrer plusieurs années de ma vie à ça. C’est quand même vrai que, tangentiellement, Dogs parle de corruption et de systèmes défaillants. Mais c’est accessoire. Pour moi, l’essence même du film, c’est la corruption de la nature humaine.

Comment le film a-t-il été reçu à Cannes ?

J’ai l’impression qu’il y a été bien reçu. Mais je ne pourrais pas en être totalement certain, car l’expérience cannoise est vraiment tellement enivrante, dans le bon sens du terme, qu’on peut d’une certaine façon s’y perdre. Mais si j’en juge par les critiques, le nombre d’interviews que j’ai données et le fait que des inconnus sont spontanément venus me féliciter, j’ai l’impression que ça s’est plutôt bien passé.

Pourriez-vous évoquer votre prochain projet ?

En ce moment, je suis en phase de préproduction d’une série télévisée intitulée Shadows (Umbre), que je vais écrire et réaliser pour HBO. La première saison, que nous avons tournée il y a deux ans, a rencontré un grand succès et nous nous attaquons à la seconde saison. Le tournage commence dans un mois et je suis assez impatient d’y être.