Un film sur le foot

Entretien avec Christophe Regin, réalisateur de La Surface de réparation

Depuis toujours, Frank vit dans l’ombre du FC Nantes. Depuis l’échec de sa carrière professionnelle, il enchaîne les petits boulots autour du club. Après plusieurs courts-métrages sur le football, Christophe Regin signe un premier long-métrage se déroulant dans le même milieu, mais sans que soit montré un seul match. La Surface de Réparation, film de foot ?

 

Le foot et le cinéma sont deux univers très marqués, mais aussi très différents l'un de l'autre. Dans lequel vous sentez-vous le plus à l'aise ?

J’ai joué un peu au foot en amateur, mais aujourd’hui, je ne fréquente plus personne du milieu du foot, et je regarde moins de matchs. Les rares matchs que je regarde, c’est avec des amis du monde du cinéma – parce que, pour le coup, il y a beaucoup de fans de foot dans le monde du cinéma… De par mes études et mon travail, mon milieu, c’est le cinéma.

Est-ce que La Surface de Réparation est un film sur le foot ?

C’est difficile à dire. J’avais envie de faire un film qui en parle, car ça me rappelle mon enfance, et ça fait le pont entre mes deux passions. Mais je ne voulais pas faire un film « de foot ». J’aime beaucoup le titre par exemple, parce que je trouve qu’il raconte beaucoup de choses sur Frank (Frank Gastambide), le personnage principal, mais en même temps je n’étais pas très à l’aise avec le jeu de mots, qui renvoie au monde du foot. C’est pour ça que je ne voulais pas d’une affiche qui évoque clairement cet univers-là. C’est la toile de fond du film, mais ce que vivent les personnages, ils pourraient le vivre dans d’autres milieux.

Dans le milieu du cinéma, par exemple ?

Un peu, oui. Le milieu du cinéma, comme celui du foot, est peuplé de gens comme Frank, qui galèrent, font plein de petits boulots avant de devenir acteurs ou réalisateurs. On en connaît tous, des régisseurs qui se rêvent réalisateurs, mais font de la régie pour rester dans le milieu. Il y en un paquet. Mais à un moment, soit on change de vie, soit on accepte qu’on ne s’est pas donné les moyens ou qu’on ne les avait pas pour faire ça. Et on devient un bon régisseur. Et ce n’est pas forcément triste. Le problème de Frank, c’est qu’il ne se pose pas la question du temps. Il se dit que peut être, un jour, il évoluera. Mais ça reste toujours du long terme. Il se dit qu’un jour, ça lui tombera dessus, mais il ne se donne pas les moyens pour que ça arrive.

Ce que vivent les personnages n'est-il pas particulier au milieu du foot ?

D’une certaine façon, oui. Comme le cinéma, c’est un milieu où il y a beaucoup de candidats et peu d’élus. Mais à la différence d’autres environnements similaires, c’est un milieu très populaire. Si je suis concret, je ne peux pas le nier : c’est un film qui se passe dans le milieu du foot. Mais c’est surtout un film qui se pose la question de ce qu’on fait de nos échecs. Et puis en vérité, c’était aussi compliqué de faire financer le film en le présentant comme un film sur le foot. Alors je me suis un peu formaté à ne plus le dire. Mais dans le fond, j’aime bien l’idée de faire un film sur le sport. C’est dommage que le foot n’ait pas un peu plus ses lettres de noblesse dans le cinéma.

De fait, dans votre film, on ne voit ni le foot-business, ni les clubs de supporters, ni même de matchs - qu'on a davantage l'habitude de voir au cinéma - mais le quotidien presque ordinaire d'un petit club de province.

Ce qui m’intéressait, ce sont les coulisses. Montrer un match de foot au cinéma, ce n’est pas intéressant. Déjà, on ne peut pas lutter contre les moyens de la télévision. Et puis, qui irait voir un match scénarisé ? Ce qui est bien au foot, c’est qu’on ne sait pas ce qu’il va se passer… Mais La Surface de Réparation, c’est surtout un film sur le travail. Avec plusieurs métiers, rôles, personnages qui gravitent autour de ce club. Des personnages qui peuvent apparaître comme caricaturaux, à l’image de ce footballeur star qui revient dans le club qui l’a formé (Moussa Mansaly), de cette fille « à footballeurs » (Alice Isaaz). Mais en même temps, ce sont des personnages qui font partie de cet univers là. Ce sont des personnages qui savent qu’ils sont des caricatures, mais auxquels on a apporté plusieurs nuances dans leur caractérisation, ce qui fait qu’ils sont plus intéressants qu’ils n’en n’ont l’air – et on oublie assez vite qu’ils sont des figures…

Pour ces "figures", vous vous êtes inspiré de personnes réelles ?

Quand je jouais au foot, j’avais pu côtoyer des gens qui ressemblaient au personnage de Frank. Des gens qui avait failli passer professionnels, mais finalement, ça ne s’était pas fait, pour diverses raisons. Après quelques mois, ils étaient rejetés des centres de formation. Et ils avaient gardé une sorte de blessure. Ils n’arrivaient pas à passer à autre chose. À l’époque, j’habitais à Boulogne-Billancourt, et je fréquentais beaucoup de fans du PSG, et ils passaient leur vie à graviter autour du club. Ils revendaient des maillots, dealaient des billets à l’entrée des stades. On n’imagine pas le nombre de business parallèles qu’il peut y avoir autour d’un club de foot. Ce qui est intéressant avec le personnage de Frank, c’est qu’il fait le lien entre toutes les personnes qui tournent autour d’un club, du président aux supporters, en passant par les filles et les joueurs.

Mais pourtant, lui même "n'appartient" pas au club...

Effectivement. Certains peuvent le voir comme un loser pathétique, mais pour moi, c’est quelqu’un qui n’a pas réussi sa vie comme il l’espérait, mais qui a réussi à se créer une bulle, dans laquelle il a beaucoup de pouvoir, même s’il ne construit pas grand chose avec tout ce pouvoir… Il bricole, se débrouille. Mais ce n’est pas un jouisseur. C’est plus un moraliste.

Moussa Sansaly et Franck Gastambide dans La Surface de réparation
Ce côté moraliste, est-ce pour vous positif ou négatif ?

Aucun des deux. C’est quelque chose de naturel. Quelqu’un qui a une place comme la sienne est obligé d’être plus royaliste que le roi. Sinon, ça effrite encore plus sa position. Ce n’est qu’un symptôme de la position qu’il occupe.

En fin de compte, s'il avait eu la carrière de footballeur dont il rêvait, il ne serait donc peut être pas si différent du joueur star qu'il méprise...

Exactement. Il aurait pu être un jouisseur, mais sa vie ne lui a pas laissé le choix. Il est obligé de poser des bases morales pour survivre. Pour supporter sa frustration, il se doit aussi d’être fataliste. En même temps, il est toujours là, à côté du club. Il n’est pas passé à autre chose. Mais ce n’est pas qu’une victime. Il ne s’est pas non plus donné les moyens d’aller plus loin. Comme le lui rappelle le président du club (Hippolyte Girardot), il aurait aimé être arbitre, mais pourtant il n’a jamais tenté de passer les diplômes.

Vous parliez du PSG, mais pourquoi avoir choisi de placer le film dans un "petit" club comme le FC Nantes ?

Dans l’imaginaire du foot, Nantes est le club qui donne sa chance aux jeunes, qui met le collectif en avant. Et j’aimais que le personnage principal ait grandi footbalistiquement avec ces valeurs-là. Si j’avais placé le film à Marseille, j’aurais dû parler de mafia, à Paris du Qatar, à Saint-Étienne du milieu ouvrier… Je ne voulais pas non plus être écrasé outre mesure par l’image du club. Je ne connaissais pas du tout le FC Nantes, sauf de réputation. Je n’étais jamais allé à Nantes avant. Il faut dire aussi que le centre d’entraînement du FC Nantes est un bel endroit : c’est un parc, un peu comme Clairefontaine, le centre d’entraînement de l’équipe de France.

L'équipe du club a accepté facilement que vous veniez tourner un film chez eux et sur eux ?

Oui, même si on est arrivé à un moment un peu compliqué : l’équipe perdait match après match, les supporters étaient très énervés… Et pour des raisons de sécurité, ça a été un peu compliqué. Mais tout s’est arrangé.

Comment le film a-t-il été perçu, dans le milieu du foot ?

Tout le monde ne l’a pas encore vu, mais globalement bien. Quand on entend dans la presse les histoires de sextape, de Valbuena, etc., ça fait beaucoup plus de mal au milieu du football. Ces éléments glauques sont présents dans le film, mais ils restent secondaires. Ce qui compte, ce sont les personnages.

Il faut dire aussi que des films "sérieux" sur le foot, il n'y en a pas tant que ça.

C’est certain, la comédie est le genre qui s’en sort le mieux pour parler de football. Joue-là comme Beckham par exemple est un film assez malin. Ce n’est pas un chef- d’œuvre, mais il arrive à parler de la condition d’être une femme indienne en Angleterre à travers un sport d’homme, c’est habile. Mais c’est vrai qu’on a du mal avec les sports collectifs au cinéma. Les Américains y arrivent parfois. Il y a ce film par exemple sur le basket, Les Blancs ne savent pas sauter, avec Woody Harrelson et Wesley Snipes. Un film hyper-intelligent et drôle sur un type qui arnaque des Blacks qui jouent dans des playgrounds : comme il est blanc, tout le monde croit qu’il est nul, sauf qu’en fait, il est très fort. Et le film joue de manière brillante avec les préjugés raciaux.

Franck Gastambide dans La Surface de réparation
La Surface de Réparation a été produit par Les Films de Pierre, la société de production de 120 Battements par minute et Eastern Boys, de Robin Campillo. Comment s'est faite la rencontre avec ces producteurs ?

On avait une amie en commun, Céline Sciamma, qui m’a fait rencontrer la productrice des Films de Pierre, et le feeling est passé, même si, sur le papier, ce n’était pas évident : un film sur le foot avec Frank Gastambide après Eastern Boys, on n’explorait pas les mêmes territoires, on va dire. Mais ça a pris. Et puis, après il y a eu 120 BPM, et moi j’étais dans la vague qui suivait, ça m’a porté…

Vous parlez de Frank Gastambide, impeccable dans le rôle de Frank, mais c'est vrai que sur le papier, ça peut être surprenant de voir cet acteur connu pour ses rôles de comique dans un rôle dramatique. À quel moment avez-vous pensé à lui pour le rôle ?

Je l’avais vu dans Kaïra Shopping sur Canal+, il me faisait rire. Et puis j’ai remarqué qu’il avait vraiment le physique de l’emploi. Il a ce côté un peu banlieusard, costaud, mais avec une bonne tête. L’idée me titillait un peu. En même temps, on est dans deux univers très éloignés : moi, cinéma d’auteur français ; lui, comique Canal+. Mais mon directeur de casting m’a beaucoup soutenu, il lui a fait lire le scénario, je l’ai rencontré. Et je me suis rendu compte que, dans son parcours aussi, il y avait ce truc de galérien, il a commencé comme dresseur de chiens pour vigiles, il a fait plein de petits boulots. Ça lui parlait beaucoup. On a fait des essais filmés, et ça fonctionnait super bien.

Et tous ceux qui vous suivaient étaient partants pour voir Frank Gastambide dans le film ?

Ça a été difficile. Heureusement, Canal+, qui avait mis de l’argent dans le film, était tout de suite partant – parce que Frank est pour eux un talent « maison ». J’ai eu du mal à convaincre certains financiers, qui trouvaient l’intention pas claire : un film d’auteur, avec Frank Gastambide, sur le foot… C’était bizarre, on ne voyait pas très bien où ça allait. Finalement, on s’en est bien sortis, on a même vendu le film en Chine ! Mais le problème, c’est que, lorsque que vous allez au CNC avec Frank Gastambide, les gens ne savent pas qui c’est. Je ne pouvais pas faire le malin dans les soirées du cinéma d’auteur avec mon cast, les gens ne connaissent pas mon acteur principal…

Mais vous avez Hippolyte Girardot, ça compense !

Oui, c’était ma caution auteur ! En même temps, ça me plaisait vachement de mettre Frank Gastambide et Hippolyte Girardot ensemble. Ce n’était pas mon intention première, je ne voulais pas faire mon Tchao Pantin avec Frank Gastambide – pour le coup, on a vu récemment que ça ne marchait pas. Mais Frank, ce n’est pas le clown. Ce n’est pas un Jean Dujardin. Même dans ses films comiques, il a un truc assez fermé, presque triste. Ce sont les autres qui sont des guignols autour de lui, et lui il encaisse tout. Au final, on n’était pas si éloignés que ça du personnage de La Surface de Réparation

Vous avez déjà fait plusieurs courts-métrages sur le foot. Allez-vous continuer dans cette veine ?

Je ne sais pas. J’avais déjà écrit un autre long sur un agent de footballeur, mais j’ai envie d’arrêter un peu de parler de foot. J’ai des idées, des envies de comédie, pour changer. J’aime beaucoup l’humour, et c’est peut être pour ça que je suis allé vers Frank Gastambide. Maintenant que j’ai parlé de personnages qui tournent en rond, j’ai envie de personnages qui avancent. Mais il faut que je réfléchisse. Qu’est ce qu’on fait après un premier film ? C’est une vraie question…