Michael Cimino, sur la route du retour

La disparition prématurée d’un grand cinéaste du nouvel Hollywood est l’occasion de revenir sur le carnet de voyage que Jean-Baptiste Thoret a consacré au réalisateur Michael Cimino.

En 2010, le critique français Jean-Baptiste Thoret rencontre le cinéaste américain Michael Cimino à Los Angeles. Ensemble, ils parlent de John Ford, de Sam Peckinpah, du Nouvel Hollywood. Cimino lui propose de poursuivre la conversation. Ils embarquent dans un road trip, de Los Angeles vers un Ouest fantasmatique.

« Enfant, et même adolescent, je n’étais pas un cinéphile. J’aimais bien les films, mais il ne me préoccupaient pas plus que ça. J’étais plus attiré par la peinture et la musique. » – M.Cimino


L’Amérique l’a mal aimé.


Michael Cimino fut prodige avant d’être maudit, incompris, délaissé. Porté très haut, aux nues, il fut descendu avec une égale puissance, agoni. Du magistral Voyage au bout de l’enfer (1978), chef-d’œuvre absolu et oscarisé, film somme regardant frontalement la guerre du Vietnam, à cette infernale Porte du Paradis (1980), ample fresque politique et subversive au cœur de paysages vertigineux, transcendant avec lyrisme et folle liberté les mythes fondateurs de l’Amérique,  un idéaliste radical s’est brisé. Le cinéaste perfectionniste et complexe, qui avait fait de la démesure sa norme parfaite et son exigence centrale, a fini par être carbonisé. Sa filmographie s’est arrêtée en 1996, sur The Sunchaser. Et presque quarante ans après son premier film, Le Canardeur, tout juste commence-t-on à reconsidérer son œuvre, avec la ressortie en salles du Voyage au bout de l’enfer et de La Porte du Paradis dans sa version intégrale et restaurée de 216 minutes menée sous la supervision de Cimino lui-même, qui a veillé sur l’intégralité de l’étalonnage, ainsi que de la restauration de l’image et du son.

Dans cette version réalisée par The Criterion Collection, sous licence de MGM, avec le soutien de Park Circus et de Colorworks, et portée en France par le beau souci patrimonial de Carlotta films, le carton et la musique d’entracte ont été retirés et quelques scènes rafraîchies au montage. Peut-être, dans le même mouvement de dessillement, accordera-ton un regard nouveau à L’Année du dragon (1985) et à La Maison des otages (1990), pour en reconsidérer l’intelligence cinématographique.
Michael Cimino est resté trop rare au cinéma contemporain. Il manque au cinéma, comme il nous manque, et voilà que l’on revoit ses films en France, qu’il vient, qu’il parle, dans des salles à Paris, à Lyon où le festival Lumière crie son nom avec emballement ; sa voix fragile est retrouvée, entendue, écoutée. On aurait aimé rêver un retour, une renaissance ; Michael Cimino, peut-être, retrouvant une place, sa place.

© Jean-Baptiste Thoret

« Jamais, je n’ai jamais été dans le cadre, toujours au mauvais endroit, toujours. Mais de manière assez intéressante. Je pense que c’est la raison pour laquelle on peut regarder mes films et se dire qu’ils ont été tournés hier. » – M.Cimino

Dans un bolide, le réalisateur américain a embarqué avec le critique et historien de cinéma Jean-Baptiste Thoret : ce dernier publie ce road movie confidentiel dans un carnet de voyage ponctué de dialogues et d’incursions dans les films de Cimino qui filent au long du récit. Ce voyage aura peut-être été un signe, une adresse, un désir ; on ne ressort pas impunément du silence, sans faire de bruit.

Ils ont pris la route et ils ont roulé, de Los Angeles aux Rocky moutains, Californie, Nevada, Utah, Colorado. Jean-Baptiste Thoret a pris place au volant, et tandis qu’il avalait les kilomètres, Michael Cimino a parlé de son cinéma, sans quitter jamais ses lunettes noires couvrant un regard de mélancolie. John Ford et Sam Peckinpah se sont érigés en figures magistrales de ce voyage que le cinéaste a accompli plus d’une fois déjà, seul, comme un rituel magique, une respiration vitale. La traversée des paysages fascinants de cette Amérique de l’Ouest trace une trajectoire dans sa pensée et dans son œuvre.

Parler avec Michael Cimino, c’est parler d’une œuvre réalisée, mais aussi de projets avortés, de scénarios à tourner. C’est parler d’illusions perdues, de rêves impossibles, de l’immense solitude d’un auteur ignoré par l’industrie hollywoodienne. C’est mesurer, à chaque pas, le temps perdu que l’on voudrait retrouver.

« Tous ses films ont mis en scène la stupéfaction de ceux qui, devant les temps qui changent, réalisent brutalement qu’ils n’ont plus leur place. » – J.-B. Thoret