Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg : les crossovers

Crossover, un terme familier pour de nouveaux enjeux

Le terme est entré dans le lexique cinéphile. Au point que certains cinéastes en usent pour illustrer leur propos en interview ou pitcher un futur projet. Ils font ou ont fait un crossover. Comprenez qu’ils ont réalisé un film de genre qui n’obéit à aucun canon strict, qui est à la fois une comédie et un film d’horreur, un mélodrame mâtiné de polar ou un film de sabre introspectif.

Le terme est entré dans le lexique cinéphile. Au point que certains cinéastes en usent pour illustrer leur propos en interview ou « pitcher » un futur projet. Ils font ou ont fait un crossover. Comprenez qu’ils ont réalisé un film de genre qui n’obéit à aucun canon strict, qui est à la fois une comédie et un film d’horreur, un mélodrame mâtiné de polar ou un film de sabre introspectif.

Le crossover, terme bâtard désignant la jonction des genres, cette portion de sensibilité où le film trouve sa liberté sans renoncer au calibrage, symbolise une haute idée du cinéma contemporain.

Parce qu’il faut croire Jean-Baptiste Thoret quand il dit que le genre est partout et que tout est devenu cinéma de genre. Admettons alors que le genre unique est presque mort et que la sensibilité plurielle des artistes a fait exploser les catégories.

Cette idée de crossover est historiquement liée à une envie de programmation. Un festival estampillé « fantastique » se doit de proposer des films ancrés dans l’imaginaire, dans le merveilleux, dans l’impossible et l’impalpable. Vient le jour où l’on a envie de plus, où l’on est tenté de proposer à son audience une cinématographie « à cheval », un entre-deux quelque part entre l’attendu et l’inespéré. Et il est avéré qu’au fil des ans, certains des plus beaux films projetés épousaient admirablement ce qualificatif de crossover. La lutte menée pour faire admettre l’ouverture et la mixité des genres s’est donc avérée une réussite. Le public a peu à peu admis que les frontières étaient dépassées et que les normes étaient brisées.

À cette heure, la section crossover du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg doit donc évoluer, se réinventer. Pour cela, il n’est pas question de modifier les critères de sélection, mais de comprendre et de faire face à de nouveaux enjeux. Si la jonction des genres fait figure de modèle impératif, la sélection du festival épouse une nouvelle vocation, celle d’offrir un panel, un panorama d’un nouveau cinéma dépouillé de carcans et de garde-fous.

Viennent s’y croiser cette année Xiao Mei, un drame chinois nébuleux centré sur l’absence d’un individu ; Pity, nouveau rejeton de la nouvelle vague du cinéma grec et Brother’s Nest, magnifique thriller familial lancinant venu d’Australie.

Cette sélection de dix films révèle les obsessions de notre temps, aborde le pont entre réseaux sociaux et terrorisme, l’aliénation des femmes et la déshumanisation des plus démunis.

Elle n’oublie pas d’être généreuse, douce et dingue. Et puis violente, sexy et sans concession.

Tous ces inédits se découvrent en salle et à Strasbourg, du 15 au 23 septembre 2018.

Pity de Babis Makridis. Copyright Margarita Nikitaki.

PITY (samedi 15 septembre)

Surprenante révélation du dernier festival de Sundance, Pity suit le parcours d’un homme à l’étrange affliction. Ce personnage, dont la femme a sombré dans le coma, est devenu accro à la pitié et aux regards compatissants. Pris dans un terrible engrenage, il ne reculera devant rien pour susciter chez l’autre ce sentiment dont il se nourrit.

Depuis les débuts de Yorgos Lanthimos dans les années 2000, la comédie grecque s’est imposée comme un curieux sous-genre célébrant l’inconfort, la froideur et la distance.

Pity, coécrit par l’un des collaborateurs habituels du réalisateur de The Lobster, ne déroge pas à la règle. On retrouve chez les personnages de ce film à l’étrange postulat cette même rigidité, ce même goût du silence malaisant. Babis Makridis trouve pourtant son propre chemin en s’accrochant à l’obsession de son personnage principal, Droopy forcené et surréaliste.

On ne sait si le film a valeur d’étude sociologique ou de pamphlet décriant l’artificialité des sentiments. Mais malgré ses atours de comédie, il prend plaisir à incommoder le spectateur, à susciter la gêne et à provoquer l’inconfort. Et Makridis atteint parfaitement son but en ne laissant personne indifférent.

Profile de De Timur Bekmambetov.

PROFILE (samedi 15 septembre)

Profile s’annonce comme l’un de meilleurs représentants d’un nouveau sous-genre du cinéma, à savoir les films se déroulant intégralement sur un écran d’ordinateur. Toutes les interactions des personnages sont filmées par le biais d’une webcam et s’écrivent dans des fenêtres de dialogue.

Le scénario, basé sur une histoire vraie, prend d’emblée la forme d’un pur thriller. Une journaliste utilise Internet et les réseaux sociaux pour nouer le contact avec Daesh. Derrière son écran, elle suit le processus de recrutement de l’entreprise terroriste.

Outrageusement contemporain, Profile est une œuvre aussi avant-gardiste que minimaliste. Timur Bekmambetov, revenu du cinéma de genre spectaculaire (Night Watch) et des blockbusters américains (Wanted ou le remake de Ben-Hur), se passionne pour ce nouveau processus de narration basiquement anti-spectaculaire.

Pourtant, au fil des messages, des émoticônes et des visages pixellisés, c’est un récit déchirant qui se dévoile sous nos yeux.

Believer de Hae-Yeong Lee.

BELIEVER (samedi 15 septembre)

Les aficionados seront curieux d’apprendre que Believer est le remake coréen d’un récent classique du polar chinois. En 2012, Johnnie To, brillant cinéaste auteur de la saga Election, livrait Drug Wars, puissant thriller multiprimé en festival. Aujourd’hui, c’est une autre cinématographie vivace et passionnée, nouvelle maîtresse du noir, qui reprend le même récit à son compte.

Believer, film coréen signé Lee Hae Young, s’attache à la quête d’un flic obsédé par l’idée de faire tomber un puissant baron de la drogue. Malgré les dérives et les morts qui s’amoncellent, l’homme ne reculera devant rien pour parvenir à ses fins. Comme tout grand polar, Believer abolit les frontières de la moralité. Flic et truands partagent les mêmes ténèbres au fil d’une œuvre où se succèdent les morceaux de bravoure. Quant à savoir si vous préférez le néo-noir chinois au thriller d’action coréen, il conviendra de se rendre en salle pour trancher.

 

BROTHER’S NEST (samedi 15 septembre)

Un beau matin, deux frères reviennent dans la demeure familiale avec le projet de s’improviser criminels. Ensemble et tout au long de la journée, ils vont préparer l’assassinat de leur beau-père, pour éviter que celui-ci n’hérite de la maison de leur enfance. Aux abords du bush australien, Brother’s Nest creuse un sillon initié par les frères Coen, celui d’un polar doux-amer, aux personnages maladroits, touchants, gauches. Si faibles qu’ils en sont résolument humains.

Clayton Jacobson a précédemment œuvré avec son frère Shane pour un mockumentary intitulé Kenny, tourné en 2006. Un film dans l’intervalle devenu culte en Australie.

Le cinéaste, également interprète, opte cette fois pour un cinéma très écrit, où rien n’est laissé au hasard, des détails de l’intrigue à la psyché des personnages. Depuis février et le festival South by Southwest, Brother’s Nest voyage de par le monde et assume sa réputation de nouveau bijou de la comédie noire.