Sous le sable

La plage comme incarnation métaphorique du déni

Marie ne veut pas admettre que Jean est mort. Entre le sable et l’horizon, le décor aide à maintenir le doute.

François Ozon a souvent filmé la plage, dès son court-métrage Une robe d’été (1996), puis son moyen-métrage Regarde la mer en 1997 (situé à l’Île d’Yeu en Vendée). Elle revient dans ses longs en 2013 pour Jeune et Jolie (Le Pradet, Var) et dans le dernier plan de 5×2 en 2004 (Stéphane Freiss et Valeria Bruni Tedeschi nagent en Sardaigne). À travers ce décor, plusieurs éléments intéressent le cinéaste et rejoignent ses obsessions. Il y a l’idée d’une bordure entre la terre et l’eau, une frontière qui installe le trouble dans la possibilité d’un basculement, à la lisière d’un danger possible. Le rivage est alors vecteur de suspense et d’angoisse. D’ailleurs, le cinéaste a également installé son thriller Swimming Pool (2003) au bord de l’eau.

Avec Sous le sable (2000), la plage des Landes est le théâtre d’une disparition. Dans Pierrot le fou, Belmondo et Karina se dissimulaient physiquement dans le sable. Chez Ozon, il s’agit d’un lieu métaphorique, représentant à la fois l’absence de l’être aimé, mais aussi le refus de l’admettre. Un homme (Bruno Cremer) disparaît sur une plage. Sa femme (Charlotte Rampling) refuse de croire à sa mort, seule face à l’énigme de cette disparition. Le deuil est difficile quand il n’y a pas de corps, enfoui sous le sable, perdu de vue dans l’horizon (où se noie le regard) ou déplacé par les vagues (dont le mouvement perpétuel du flux et reflux donne l’illusion que rien ne change).

À travers cet événement indicible, François Ozon s’intéresse à son actrice. La plage devient le cadre idéal pour la sublimer, avec sa lumière éclatante, son vent qui caresse les cheveux, son horizon qui, par son immensité, met en valeur un visage. Son désir de filmer Charlotte Rampling est lié aux nuances de son chagrin, une palette de jeu à la richesse infinie, prolongée par une double luminosité. Le personnage erre seul sur le sable et dans son appartement, dont l’obscurité accroît son étouffement. La plage instaure alors un contraste avec les intérieurs lugubres et restreints où s’épanche le retranchement.

Le film évolue du point de vue de Marie. Le décor reflète toutes les aspérités de son intériorité. François Ozon élabore alors un récit autour du déni, la question centrale de son film. Sans corps pour pleurer, elle l’imagine toujours vivant et présent. Face à ses interrogations et ses fantasmes, le cinéaste ne donne jamais de réponse, à l’image de la silhouette qui se détache en profondeur du dernier plan que Marie semble vouloir atteindre, et qui laisse planer un doute. Comme François Truffaut avec Les 400 coups (et le magnifique regard caméra de Doinel-Léaud qui se fige, comme une adresse au spectateur), Ozon termine son film à la plage par une fin ouverte qui nous interroge plus qu’elle ne le conclut, laissant le deuil toujours désincarné.

Benoit Basirico