L'Inconnu du lac

La plage : l’unité de lieu d’une tragédie antique

L’été. Un lieu de drague pour hommes, caché au bord d’un lac. Franck tombe amoureux de Michel. Un homme beau, puissant et mortellement dangereux. Franck le sait, mais il veut vivre cette passion.

La publicité et la poésie façonnent des légendes urbaines. Alain Guiraudie les déconstruit. Avec lui, la plage n’est plus le lieu par excellence de la rêverie et du romantisme. Aucun couple ne marche au bord de l’eau, les mains entrelacées, les cheveux au vent et le regard tourné vers l’horizon marin. Nul ne s’amuse à faire des ricochets avec des cailloux. Nul n’espère l’évasion en étant simplement assis sur du sable et des pierres.

La plage de Guiraudie abandonne l’imagerie. Elle n’est qu’une géographie, un terrain où les corps se reposent, se draguent et font l’amour. Les personnages s’inquiètent pourtant du cyanure présent dans le lac, comme si le lieu pouvait être dangereux. Le seul poison réside dans leur cœur, tiraillé entre la passion amoureuse et la passion meurtrière.

L’Inconnu du lac montre la plage comme ce qu’elle est. Un des deux lieux, avec l’hôpital, où se voient le plus de corps dénudés. Un endroit où l’on rencontre l’intimité d’une enveloppe corporelle avant celle d’une personnalité. Un décor qui ne cache ni les meurtres ni les cadavres. La terre promise des vérités, même pour son créateur Alain Guiraudie. Il apparaît en effet en tant que caméo quand le film commence. Plagiste, il est couché, entièrement nu dans un plan demi-ensemble faisant de ses parties génitales le protagoniste de la scène. Par ce geste, il se désigne comme complètement homogène à la réalité qu’il filme et exclut les masques de l’histoire.

Pour cause, visionner L’Inconnu du lac, c’est voir une plage qui impose à ses visiteurs une mise à nu autant physique que morale. C’est être devant un théâtre filmé dans lequel le décor prend corps avec les personnages qui l’habitent. C’est appréhender le travail de spatialisation comme l’un des enjeux les plus stimulants d’une œuvre. Si vous fuyez la tiédeur et savourez les passions sourdes à la menace, ce territoire vous accueille les bras ouverts !

 

Hélène Robert