Cannes 2016

Synthèse : Culpabilité


CULPABILITÉ


Être ou ne pas être coupable… De quoi ? De tout, de rien, de la violence et de l’indifférence générales, de ce que le monde ne résout pas pour nous. La culpabilité, ce mal qui court et fait courir ceux qui le contractent, est le fil rouge de bien des films cannois, comme un remords qui fait ressort et imprime chaque mise en scène.
Il y a celles qui se sentent coupables de n’avoir rien fait, comme un écho au narrateur du roman d’Albert Camus, La Chute, qui trouvait l’eau trop froide… Parce qu’elle n’a pas ouvert sa porte à une femme en détresse, Jenny, jeune médecin à cheval sur les principes dans La Fille inconnue de Jean-Pierre et Luc Dardenne, découvre qu’elle aurait pu lui éviter la mort et se met en quête du passé de l’inconnue pour lui donner un nom, une sépulture. Julieta, dans le film de Pedro Almodóvar, rencontre deux hommes dans un train, l’un auquel elle refuse de parler et qui mourra, l’autre avec lequel elle entame une conversation au wagon-restaurant et qui deviendra son grand amour ; mais l’accident originel la marque à jamais d’une faute portée comme une malédiction.

Le Client de Asghar Farhadi

Est-on coupable des crimes de ses parents ? Dans Elle de Paul Verhoeven, Michèle est la fille d’un « mass murderer » : toute sa vie, depuis l’enfance, elle a subi par ricochet la haine générée par son père. Cela fait d’elle un être à part, dont le rapport à la violence qui lui est infligée est pour le moins singulier.
Dans Baccalauréat de Cristian Mungiu, le père est la cible de quelqu’un qui lui en veut et jette des pierres dans les vitres de son appartement ou le pare-brise de sa voiture. De quoi est-il coupable ? D’adultère et de mensonge caractérisé ? De vouloir un avenir hors de Roumanie pour sa fille ? D’être prêt pour cela à payer quelques pots de vin ou accepter des « échanges de bons procédés » ? Ce qu’il est contamine forcément sa propre fille, agressée sans qu’on comprenne pourquoi, par un anonyme.
À trop chercher un coupable, on en devient un soi-même. C’est ce que raconte aussi Le Client de Asghar Farhadi. Ou comment, pour démasquer l’homme qui a agressé son épouse Rana dans leur nouvel appartement jadis occupé par une prostituée, Emad devient une sorte de monstre incapable de juguler sa colère et son ressentiment. La culpabilité, là aussi, est très partagée : Rana reconnaît qu’elle a ouvert la porte sans vérifier qui sonnait, l’ami qui leur a loué l’appartement ne les a pas prévenus de l’identité de la précédente locataire…
« Sur cette terre, il y a une chose effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons » disait Jean Renoir à travers Octave, le personnage qu’il interprétait lui-même dans son chef-d’œuvre, La Règle du jeu. Et l’on ne peut s’empêcher d’invoquer cette phrase si juste et si emblématique du cinéma qui regarde les êtres se débattre avec le monde tel qu’il va (mal), avec l’intérêt général et le désintérêt particulier. Car on l’entend dans le sous-texte de ces cinq films si différents et si semblables. Parce que ce n’était plus l’heure… Parce que je le trouvais bizarre… Parce que, parce que, parce que…