Zama

Il était une fois dans l’Ouest

Cinéaste phare du XXIe siècle, l’Argentine Lucrecia Martel signe enfin son retour avec son quatrième long-métrage. Une fresque enchanteresse sur les terres latino-américaines de la fin du XVIIIe. Un périple, une évasion, une hallucination.

Enfin ! Neuf ans ont passé depuis la sortie française de La Femme sans tête. Plus le temps passe, plus l’écart se creuse entre les opus de la surdouée Lucrecia Martel. Pitié, qu’il diminue ! Sinon il faudra attendre au moins dix ans avant le prochain ! Quatre films depuis 2001 et La Cienaga, et chaque fois une puissance de mise en scène. Ici, changement radical. Pas de décors argentins habituels, pas d’époque contemporaine, pas de sujet original. Zama est une adaptation libre du roman phare (1956) du compatriote de la cinéaste Antonio di Benedetto (1922-1986). L’intrigue se passe en 1790 et parcourt les terres du Gran Chaco, alors colonie hispanique, à cheval sur l’Argentine, la Bolivie, le Brésil et le Paraguay.

C’est le portrait d’un corregidor, fonctionnaire de la couronne espagnole, représentant du pouvoir et de la justice sur les terres ici lointaines. Un homme gangrené par l’attente d’une mutation. Un mâle fier, qui se rêve alpha et qui, croyant perdre sa reconnaissance et ses aspirations, va finalement lâcher prise, forcé par le réel, au gré d’une quête insatiable et d’une déambulation entêtante. Fuyant l’illustration carte postale, la reconstitution carton-pâte, et tributaire d’un budget serré, la réalisatrice au brio sensoriel use d’un talent dingue, avec une équipe à la minutie inventive. Cette coproduction internationale entre de nombreux pays n’a rien perdu de sa rigueur artistique.

À l’image du protagoniste, qui se défait de ses oripeaux existentiels, l’œuvre est le résultat d’une exploration fouineuse de la faune, de la flore, des territoires, de l’Histoire, des costumes, perruques, sons, visages et corps. Un trip à la bande sonore planante, de bruits en musiques, de cris en frôlements, qui offre un rôle clé à l’acteur hispano-mexicain Daniel Gimenez Cacho, vu chez Alfonso Cuaron, Guillermo del Toro, Arturo Ripstein, Pedro Almodovar et Santiago Mitre. Il est saisissant de brutalité désarçonnée dans la peau de Zama, et sert de guide au spectateur, ébloui par l’alanguissement, les étoffes, et le glissement vers l’enchantement, de rives mystérieuses en herbes hautes, d’intérieurs moites en barque glissant sur la mousse aquatique…