Sicilian Ghost Story

Les Enfants du silence

Une histoire d’amour juvénile qui brise les chaînes de la séparation, sur les terres fatales de la Sicile. C’est le nouveau pari des brillants auteurs de Salvo. Cette plongée dans les profondeurs telluriques relève le défi. Sauvage et beau.

Lancé en ouverture de la Semaine de la Critique 2017 à Cannes, le second long-métrage du tandem palermitain Grassadonia/Piazza subjugue. Il faut dire qu’ils savent embarquer le regard. Leur mise en scène, révélée avec le sobre et sec Salvo en 2013, traite ses sujets avec maestria. Et quels sujets ! Le scénario, récompensé à Sundance et aux David di Donatello, les Oscars italiens, mêle l’intime au collectif, le réalisme au fantastique. La trame initiale est inspirée de faits réels : le rapt du jeune fils d’un mafieux repenti, retenu pendant plus de deux ans, de novembre 1993 à janvier 1996, jusqu’à son assassinat, atroce. Une nouvelle en a été tirée, Un cavaliere bianco de Marco Mancassola, dont les réalisateurs se sont librement inspirés.

C’est l’histoire d’un village sicilien, d’une forêt, d’un lac. Deux ados camarades de classe sont amoureux. Giuseppe et Luna. Joseph et Lune. Leurs familles. La mafia. Lui, disparaît. Elle, le cherche. Sans relâche. Malgré la loi du silence. Malgré l’indifférence. L’amour plus fort que tout. Le sentiment surpuissant. C’est le nerf de cette guerre souterraine contre la fatalité d’un monde gangrené. La visée documentaire est pulvérisée par le parti pris romanesque du conte. Il est ici question d’un « Il était une fois », avec son chien noir inquiétant, sa mère aux allures de sorcière, son sauna organique, et ses grottes telles des entrailles de l’univers…

Deux heures durant, les cinéastes enroulent le spectateur dans le trajet tortueux de la réunion cosmique des chastes amants juniors. Le cœur et l’âme comme liens dramatiques, cordons métaphoriques et géographiques. Leur amour viscéral inonde chaque recoin insulaire, et règne sur les images par le brio formel, tout en circonvolutions. Les caves, cages d’escalier, chemins, allées et venues, sont transcendés par les mouvements de caméra qui entourent, enveloppent et accompagnent jusqu’à l’horreur ultime. Mais libèrent les phéromones indestructibles de cette passion. Travaillés par les contradictions de leur île, Grassadonia et Piazza lui déclarent aussi leur attachement immarcescible. Impressionnant.