Laissez bronzer les cadavres

Pour quelques lingots de plus

Sept ans après Amer, et quatre ans après L’Étrange Couleur des larmes de ton corps, le duo d’esthètes Hélène Cattet et Bruno Forzani entrent dans la cour des grands avec un western corse, Laissez bronzer les cadavres, adaptation du roman éponyme de Jean-Patrick Manchette, publié en 1971 dans la légendaire collection Série Noire de Gallimard.

C’est un néo-western spaghetti, réalisé par des Français et produit par des Belges, dont l’action se déroule dans la Corse dans années 1970. Une production internationale pour un huis clos en extérieur. À l’inverse des abscons L’Étrange couleur et Amer, dans Laissez bronzer les cadavres, l’intrigue est simple, limpide, accessible. Une vieille maison aux allures de château médiéval plantée au sommet du maquis. L’attaque d’un fourgon blindé, des visiteurs inattendus, une fusillade. Une histoire qui ne peut que mal finir.

Du côté de la mise en scène, le duo maîtrise son art, et s’est fait plaisir. De très gros plans sur des gueules de cinéma (Bernie Bonvoisin, Stéphane Ferrara, Marc Barbé) soulignent une esthétique picturale – quelque part entre la BD, le pop art des seventies et les peintures de héros grecs de la Renaissance. La bande originale vient sublimer à merveille l’action, à grand renfort d’Ennio Morricone. Bref, c’est opératique, maîtrisé et brillant, même si on pense davantage à Tarantino qu’aux maîtres italiens Argento, Leone ou Mario Bava. Il faut dire que le réalisateur d’Inglorious Basterds et de Django Unchained a eu déjà eu cette même idée d’un hommage nostalgique au cinéma d’exploitation italien des années 1970. En outre, on retrouve dans Laissez bronzer les cadavres la mise en scène « à rebours », jouant sur le temps de l’action, déjà expérimentée par Tarantino – dans Pulp Fiction, notamment. Un jeu jouissif mais dangereux, risquant de perdre le spectateur, mais Cattet et Forzani maîtrisent, et le jeu temporel est finement opéré.

Néanmoins, Cattet et Forzani sont plus radicaux que leur voisin américain : ils n’hésitent pas à glisser du bizarre, de l’inexpliqué, vers une histoire simpliste comme un bon polar des années 1960. Ainsi, le personnage d’Elina Löwensohn nous offre-t-il des flash-back New Age bizarres et érotiques, les souvenirs d’un étrange rituel, qui semblent de lointains échos aux précédents films du duo. De ceux-là, on avait surtout retenu l’esthétique, les plans, le décor, les costumes, la couleur, comme autant d’hommages presque plastiques au giallos italiens. Si la référence est ici davantage le western spaghetti, et ses tons ensoleillés, bleus et jaunes des années 1970, on retrouve toute cette esthétique marquée et brillante. Mais mise au service d’un vrai récit, sympathique et drôle – une jolie série B. française « à l’ancienne » – Cattet et Forzani signent leur premier grand film.