La Route sauvage

Le petit affranchi

Adapté d’un roman, le nouveau film d’Andrew Haigh brille par sa simplicité. Un regard juste sur l’adolescence esseulée et la détermination, sur fond de grands espaces ouest-américains, d’amitié avec l’animal, et de célébration des êtres en marge.

Un ado de quinze ans, esseulé avec son père, apprend à se faire à sa nouvelle vie dans une bourgade de l’Oregon. Après s’être attaché à un cheval sur le déclin, il va partir en quête de son seul lien stable, sa tante, perdue de vue, à un autre bout du pays.

Adapté du roman de Willy Vlautin, paru en France en 2012 sous le titre Cheyenne en automne, ce voyage initiatique émeut. Portraitiser l’adolescence est un chemin déjà balisé par le cinéma, et pourtant, Andrew Haigh y apporte une vraie fraîcheur. Les grands espaces étasuniens, filmés par un British, réunissent ici un humain aux prémices de sa vie, et un animal en fin de course. Deux créatures exclues des rails du bon fonctionnement, foyer modèle pour l’ado, box de compétition pour l’équidé. Le road-movie que va entreprendre le garçon se double d’un récit d’apprentissage, et d’un rapport passionnant au monde.

La Route sauvage de Andrew Haigh. Copyright Ad Vitam.

Charley ne lâche rien. Sa détermination combat le déterminisme qui semble le destiner à la résignation, au foyer pour mineur, au quotidien dicté par les autres. Puissante ligne directrice, pour une œuvre qui joue pourtant la carte de la simplicité. Haigh filme à hauteur de jeune homme, sans chercher à en faire un héros, ni une victime. Une justesse dans le regard, qui marquait déjà les trajets des amoureux soudains de Week-end, et des soixantenaires bouleversés de 45 ans. En étranger déplacé de l’île britannique au grand ouest américain, le cinéaste se fait humble découvreur de celles et ceux qui vivent dans l’ombre et la marge. Des destins qui ne brillent pas par leur réussite, mais par leur attachement à leur métier, leur passion, leur savoir-faire, leur territoire. Les hommes tombent, les femmes tombent, mais tous se relèvent et continuent, même en boîtant.

L’émotion est grande dans cette épopée qui traverse les états de la nation étoilée. Un trajet géographique que le spectateur ressent grâce aux plans posés et aux mouvements de caméra discrets. La mise en scène ne joue pas l’épate carte postale, mais la proximité avec l’enjeu de chaque scène. Une émotion qui vient aussi de l’incarnation généreuse de Charlie Plummer, vu dans la série Boardwalk Empire et dans Tout l’argent du monde de Ridley Scott. La simplicité apparente de son jeu témoigne de sa finesse, et de sa compréhension intime de son double de fiction. Charley/Charlie, doublon miraculeux qui naît à l’écran, à l’ombre du pur-sang Lean on Pete, offrant son nom au titre original du roman et du film.