La Favorite

Les perles de la couronne

Malin comme un singe, Yorgos Lanthimos livre une corrosive fresque historique. Sa maestria formelle explose, et se double d’une puissance acide menée par des femmes, et trois actrices au sommet.

Les souveraines britanniques ont la cote cette saison. Outre le convenu Marie Stuart, reine d’Écosse de Josie Rourke, en salle le 27 février prochain, voici venue La Favorite. Là, les illustres Élisabeth Ire et Marie Stuart, ici, la méconnue Anne de Grande-Bretagne (1665-1714), dernière de la lignée des Stuart. Mais le livre d’histoire illustré n’est pas au menu. Logique, vu le metteur en scène Yorgos Lanthimos, maître en expression de l’étrange et du délirant. Avec un cinéaste grec et un scénariste australien – Tony McNamara -, d’après le script original de l’auteure anglaise Deborah Davis, rien de mieux pour décoller de la véracité so British.

Soit une monarque malgré elle, Anne, fille et sœur de têtes couronnées, marquée par les coups du destin et une personnalité influençable. Face à elle, l’amie de toujours, Sarah, devenue la dame de fer du pouvoir régalien, et une nouvelle venue, Abigail, qui, comme dans Eve de Mankiewicz, va profiter de la précédente pour gravir les échelons et parfaire son ambition. Trois femmes fortes, en tête d’une production internationale de premier plan, dans le genre du film historique en costumes, mais version sale gosse. La politesse étant étrangère au regard du créateur hellénique, les perruques sont copieusement dépoussiérées dans sa troisième réalisation anglophone, après The Lobster et Mise à mort du cerf sacré, et sa célébration de la féminité irradie.

Olivia Colman est sidérante en régnante emmurée dans sa douleur, sa goutte, ses humeurs et ses obsessions lapinesque et alimentaire. Rachel Weisz épate en figure implacable à la séduction magnétique. Emma Stone décoiffe en Rastignac courtisane. Si l’ombre de Barry Lyndon de Stanley Kubrick et de Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway plane dans les couloirs du palais royal, La Favorite se forge sa propre identité grâce à une acidité poussée à l’extrême. Exubérance, irrévérence et bling-bling patiné sont tissés dans une toile formelle à couper le souffle, où le baroque des angles de caméra et des sources de lumière saisit. Tout déborde avec jubilation, de tirs au pigeon en courses de canards et homards, de lancer d’oranges sanguines en gavage et dégobillage humain, et tend un miroir vertigineux à l’inextinguible soif de pouvoir.