La Belle et la Belle

Retour burlesque vers son futur

Une femme se rencontre plus âgée, et à un rythme alerte Sophie Fillières conte cette aventure fantaisiste avec un sens communicatif de la comédie.

La Belle et la belle est l’histoire d’une jeune femme, Margaux, 20 ans, qui se retrouve nez à nez avec Margaux, 45 ans. Cette rencontre se déroule devant un miroir, au gré d’un dialogue croustillant où elles se découvrent des points communs. Cette situation est le point de départ d’un jeu de reflets entre deux femmes qui se trouvent être la même à 25 ans d’écart. Tout le film fonctionne ainsi, transformant une situation ordinaire (comme se regarder dans la glace) en épisode existentiel (un reflet temporel invite à se questionner sur sa place dans ce monde).

Le fantastique comme genre cinématographique émerge ici d’un quotidien loufoque, sans être spectaculaire, mais engendrant un comique de situation nourri par un grand sens du burlesque. Les interprètes, Sandrine Kiberlain et Agathe Bonitzer, sont par leur naturel et leur aisance corporelle, autant responsables de la réussite des gags que la subtilité des dialogues et la simplicité de la mise en scène.

Sophie Fillières, comme Noémie Lvovsky (une camarade de promotion à la Femis), utilise le fantastique de manière fortuite, dans une fluidité transcendant toutes invraisemblances, et sans trop s’y attarder, banalisant le plus incongru. Les situations cocasses du récit sont l’occasion d’évoquer autre chose, à la fois l’amour (la comédie se transforme en romance par le biais du personnage de Melvil Poupaud, partagé entre ces deux femmes, ces deux âges), le temps qui passe, et la mort (celle annoncée de son amie et colocataire, dont on ignore jusqu’au bout la raison, qui insuffle du suspens et de la gravité au sein de l’intrigue fantaisiste).

La cinéaste a le sens des non-dits, où les jeux de regards et la gestuelle suffisent à évoquer les enjeux. Les situations décalées et comiques s’accompagnent, comme chez Woody Allen, d’une véritable psychanalyse qui infuse en souterrain. L’une se questionne sur son passé et les erreurs qu’elle aurait pu éviter, l’autre s’interroge sur son avenir, entre un désir d’insouciance et l’opportunité de corriger la trajectoire. Ce fantasme purement scénaristique est aussi jubilatoire pour le spectateur que celle qui opère dans Un jour sans fin de Harold Ramis. De cette complicité naît un grand amusement, presque enfantin.

Le film est double, comme ses personnages, mêlant réalisme et merveilleux, finesse et pitrerie, détente et gravité, simplicité et profondeur… Se dégage de ce conte de fée réjouissant un charme poétique, faisant oublier ses quelques maladresses et imperfections par sa sincérité. Sophie Fillières se dédouble pour dresser son autoportrait, en toute générosité, puisque l’émotion partagée prend le pas sur le je.

 

Benoit Basirico