Hannah

Bonjour tristesse

Entièrement lové autour de son actrice, Andrea Pallaoro offre à Charlotte Rampling l’un de ses rôles les plus forts avec Hannah, beau film triste et fascinant.

Hannah d’Andrea Pallaoro fait partie de ces films qui créent immédiatement de la stupéfaction. Dès qu’elle apparaît, Charlotte Rampling  – notablement distinguée de la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine au dernier festival de Venise – est littéralement l’âme d’Hannah, une femme seule et vieillissante. Son visage est tel un double miroir, celui d’Hannah mais aussi celui de Charlotte, indivisibles. Ses traits marquent une volonté de fer : il s’agit de ne pas flancher malgré les coups de la vie en se résignant à un quotidien éminemment dépressif pour Hannah, tandis que Charlotte, pour qui jamais film de fiction n’aura été plus proche d’un documentaire sur une actrice, se donne entièrement, redéfinissant au passage la notion d’incarnation. Les deux sont ainsi dans un combat de chaque plan, capté par un cinéaste qui paraît susurrer leurs prénoms avec autant de précaution qu’il est frappé de ferveur. L’intrigue très brève du film est entièrement vouée à cette auscultation minutieuse, lente, froide, douloureuse. Le mari d’Hannah (André Wilms), que l’on découvre au détour d’une permission ou d’un parloir puisqu’il est emprisonné pour une cause assez floue, est digne de traumas. Il n’a laissé qu’un vieux chien malade qui se laisse mourir de faim et dont s’occupe avec courage Hannah, petit bout de femme malingre perdue dans un manteau presque trop grand. Ces seules scènes procurent au spectateur une compassion très vive, violente, indomptable, qui ne se dément jamais. Or, si cette dernière s’éprouve particulièrement grâce à la parfaite maîtrise du temps et des silences, elle se définit également par l’habilité du réalisateur à nourrir des contrastes, quelques traces de bonheur fugace sur le visage d’Hannah, son sourire momentané, un geste de tendresse pour un enfant, autant de méditations heureuses l’espace d’un instant qui, tels des rais de lumière, achèvent de vous briser le cœur et l’esprit. Par cet équilibre savant, Hannah donne vie au sentiment compassionnel si cher à Milan Kundera, « la plus haute capacité d’imagination affective, l’art de la télépathie des émotions. Dans la hiérarchie des sentiments, c’est le sentiment suprême. »