Djam

Heureux qui comme Ulysse

Dans un port d’une Grèce aussi antique que contemporaine, vit Djam. La jeune femme déborde de joie, d’enthousiasme, de danses et de chansons. Par son oncle, dont le costume impressionnant porte les stigmates des grands voyageurs, elle se voit confié une quête : aller à Istanbul pour acheter une étrange pièce de bateau. Peu importe à l’intrigue que nous soyons au XXIe siècle, à l’ère d’Internet et des grandes industries : la pièce que Djam va transporter dans son havresac ne se trouve que chez de petits artisans dans les faubourgs d’Istanbul, et l’on ne peut s’y rendre qu’à pied.

Mais on ne voyage jamais seul bien longtemps. À Istanbul, Djam rencontre Avril, jeune Française « de la banlieue », arrivée au milieu du Détroit du Bosphore un peu par hasard, abonnant sur le chemin son mec. De lui, on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il est parti rejoindre l’État Islamique et Raqqa, pandémonium tacite dont l’ombre plane sur tout le film.

Car Djam est surtout une histoire de territoires et de villes. Il y a celles du hors-champs : Raqqa, bien sûr, dont on ne parle jamais, et puis Paris, où a grandi Djam, où vécu et mourut sa mère, et qui explique bien qu’on parle français tout au long du film. Sans oublier Istanbul, ville-monde filmée à hauteur d’homme, même sur les toits. Le ratio presque carré de l’image du film, son teint peu saturé ou contrasté donne à la ville et aux espaces une image de possibles. Loin de la carte postale, la ville et les paysages de Djam se subliment par l’impression qu’ils donnent d’y être.

Sur les routes du monde


Une fois la pièce de bateau récupéré, il faut bien retourner en Grèce. Le film devient alors road-movie, suivant les deux jeunes femmes dans leur périple, le long des routes, no man’s land et chemins de fer, au gré des villages et des rencontres. Haltes dépaysantes, introduction de nouveaux personnages le long du voyage, problèmes sur le chemin : tout s’apparente à un road-movie classique et léger, sauf qu’il se déroule le long d’un sentier qu’on a plutôt l’habitude de voir sur des cartes de géopolitique. Rejoignant la Grèce depuis Istanbul, Djam et Avril empruntent la vieille route de migration qui relie le Moyen-Orient et l’Europe.

Et subitement, alors que l’on n’a de cesse de parler de flux migratoires comme d’un problème de société, dans le film de Tony Gatlif, la réalité du terrain arpenté apparaît concrètement. Et le film reste digne. De ces migrants, on ne voit surtout que les traces, les marques laissées sur les murs, en arabe, les restes d’un feu de bois encore chaud. Les rares migrants qu’on croise existent d’abord en tant qu’individus, avec leur passé, leur histoire propre. Et surtout, fondamental chez Gatlif, rare réalisateur capable de filmer le folklore sans mépris ni condescendance, avec leur culture, leurs traditions. Et comme toujours, car Djam est aussi, et peut être avant tout, une comédie musicale, c’est la musique et les danses qui vont rassembler les traditions, les cultures, et les hommes.