9 Doigts

Cargo de nuit

Depuis un peu plus de trente ans, F.J. Ossang développe une filmographie punk et expérimentale, où se bousculent les influences diverses et les fulgurances esthétiques. Avec son dernier opus, le réalisateur du Trésor des îles chiennes semble s’ouvrir vers le public, sans renier son style et sa singularité.

La nuit, Magloire, un jeune homme en pleine course, tombe sur un homme, mourant, qui lui confie une importante somme d’argent. Magloire se retrouve alors impliqué dans les affaires d’une mystérieuse bande de malfrats et bientôt embarqué pour un long périple sur un étrange cargo, à destination du Nowherland. Film noir, SF, cinéma d’aventures et surtout épopée romanesque : après un Dharma Guns qui cherchait sa voie entre expérimentation et thriller, F.J. Ossang fait feu de tout bois dans son nouvel opus au délicieux parfum feuilletonnesque. Des cartons rythment même les péripéties de ces étranges pieds nickelés, entraînés dans une aventure plus grande qu’eux. A la manière des surréalistes, adorateurs du Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain, Ossang se sert des genres pour créer un univers poétique, où les dialogues, ciselés et semblant appartenir à une autre époque, sont placés dans la bouche de comédiens parfaitement castés. Autour de sa muse Elvire et de Lisa Hartmann, révélée par Bruno Dumont, on trouve en effet une équipe de garçons à l’élégance intemporelle : Paul Hamy, chouchou du cinéma d’auteur exigeant, est parfait en héros tourmenté tandis que Damien Bonnard, trench coat et lunettes noires, semblait né pour intégrer l’univers des bad boys d’Ossang. Pascal Greggory en vieux sage et Gaspard Ulliel en méticuleux médecin complètent cette belle troupe, probablement la plus bankable du cinéma d’Ossang et pourtant toujours harmonieuse. Grâce à eux et grâce bien sûr à son utilisation magistrale d’un noir et blanc très contrasté, le cinéaste punk nous fait croire en quelques plans à un univers étrange et oppressant, quelque part entre un classique de l’expressionnisme muet et le Robert Aldrich d’En quatrième vitesse. Pour mieux nous embarquer dans un voyage mental, à la recherche, comme l’explique un des personnages, d’une destination mouvante et inaccessible.